Le jeu de dupes
jardin où elle avait pris l'habitude de se réfugier pour échapper à la chaleur oppressante de ce mois d'août. Les deux époux admirèrent en silence les berges de la Seine, chacun attendant que l'autre prenne la parole. Nolwenn se lança la première :
– Je suis contente que vous soyez venu jusqu'ici et regrette d'avoir disparu ainsi sans un mot d'explication… Quand le comte d'Aubijoux m'a offert l'hospitalité de sa maison de campagne à laréception des de Lagne, cela m'a paru une bonne idée. J'ai agi sottement en ne vous en informant pas, j'en suis désolée… Cependant, les raisons de mon départ m'apparaissent fondées car j'ai le sentiment que ma grossesse n'est pas la bienvenue pour vous… À vrai dire, certains de nos différends me paraissent inconciliables, aussi serait il peut-être plus sage que j'aille après la naissance rejoindre ma sœur en Bretagne. Son odieux mari vient de décéder d'une mauvaise chute de cheval et elle serait heureuse de m'accueillir.
François pâlit en se forçant à conserver son calme pour pouvoir discuter à cœur ouvert sans mouvement d'humeur propice aux malentendus.
– Nolwenn, vous commettriez là à mon sens une terrible méprise. Tout d'abord, j'avoue avoir mal réagi à l'annonce de votre état… J'ai été surpris mais surtout effrayé. Je ne vous ai jamais parlé de Sylvaine, la jeune femme que j'ai rencontrée à mon arrivée à Paris… J'éprouvais pour elle un véritable attachement. C'est le jour de sa mort que j'ai su qu'elle attendait un enfant de moi…
– Je l'ignorais… Pourquoi ne m'avez-vous pas confié cet épisode de votre vie ? Ce que je sais, je l'ai entendu de la bouche des domestiques.
– Cela m'était pénible d'y songer et j'avais peur de vous blesser en évoquant cette relation… À ce moment là j'estimais sincèrement n'avoir rien à vous offrir. Sylvaine était une fille libre qui ne me demandait aucun engagement, ce que je ne pouvais donner à l'époque. Sa mort m'a anéanti. Dans mon esprit, votre grossesse a ravivé cet événement douloureux et j'ai eu peur de vous perdre, de revivre à nouveau ce cauchemar…
– Avouez que vous n'êtes revenu vers moi que parce qu'elle est morte.
François la regarda intensément avant de déclarer :
– Il est difficile de réécrire le passé… Ce qui est certain c'est que je me serais préoccupé de votre sort quoi qu'il soit arrivé et ne vous aurais sûrement pas abandonnée. N'oubliez pas que, lorsque je suis venu vous chercher, je vous ai proposé de vivre librement en vous fournissant les moyens de le faire… ou de m'épouser. Je vous ai laissé le choix. J'agis pareillement aujourd'hui.
– Je vous l'accorde… J'ai besoin d'être rassurée sur un point : pouvez-vous me regarder en face et m'affirmer que vous êtes convaincu être le père de ce bébé ?
– Il est vrai que je me suis posé la question… De toute manière, même si cet enfant n'était pas le mien, il est le vôtre et cela me suffirait à l'aimer… Mais je vous connais, si vous aviez des raisons d'en douter vous me les auriez confiées avec la franchise qui vous caractérise. Je sais, Nolwenn, que cet enfant est le nôtre…
– Heureuse de vous l'entendre dire. J'ai autre chose sur le cœur… Durant mon incarcération, n'avez-vous pas entretenu une liaison ?
– Une erreur que je regrette profondément et qui ne mérite pas d'affecter notre relation. J'étais fragilisé et j'ai cédé à la facilité… Cela ne se reproduira plus.
– Naturellement, je suis censée m'en accommoder à l'instar de mes congénères. En somme, vous me proposez de continuer comme si de rien n'était, lança-t-elle, ironique. Si ce sont là vosarguments pour me convaincre de reprendre la vie commune…
François se leva et prit son visage entre ses mains en lui déclarant :
– Il m'en reste un…
Et il l'embrassa avec fougue, mettant dans ce baiser ce que les mots ne pouvaient exprimer. Puis il planta ses yeux dans les siens et enchaîna :
– Nolwenn, je t'aime, tu es mon premier amour… Tu ne comprends donc pas que sans toi j'ai froid dans mon âme, dans mon corps, que j'ai besoin de toi, de sentir ton regard, ta douce chaleur. Reviens-moi… Quand je t'observe, je vois notre Bretagne, la mer, je me souviens de toi enfant, puis adolescente, intrépide et espiègle, je nous imagine ensemble accueillant cet enfant et ceux à venir… Nous ne partageons pas que des souvenirs radieux, toutefois
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