Le jeu de dupes
que, malgré ses consignes, un inconscient se risque à forcer le seuil de sonsanctuaire et, se levant, se retrouve nez à nez avec l'être le plus cher à son cœur : sa sœur.
Le prince possède une séduction réelle : son tempérament et ses grands yeux bleus transportent ces dames malgré son nez busqué et sa grande bouche à la dentition chaotique. Anne Geneviève est à l'inverse l'incarnation de la beauté de ce siècle, délicat tanagra blond au regard azur, dotée d'un bel esprit malheureusement gâché comme son frère par un orgueil incommensurable et un égocentrisme effrayant doublé d'une possessivité extrême à l'égard de ses frères, partageant avec l'aîné une relation passionnée et charnelle qu'elle considère au-dessus de l'entendement des simples mortels.
– Vous êtes encore là à ressasser vos aigreurs, attaque-t-elle d'emblée, seule audacieuse à se hasarder à l'apostropher de la sorte.
– Que ne me laissez-vous en paix, femme ! réplique le prince et, d'un mouvement d'humeur, il renverse le guéridon où il vient de reposer le traité de Spinoza qu'il tentait de lire avant d'être interrompu.
Nullement impressionnée, Anne Geneviève s'approche vivement jusqu'à le toucher, et le toise avec dédain.
– Quand vous aurez fini vos enfantillages, vous agirez peut-être en homme !
Louis blêmit sous l'insulte et la saisit à la gorge. Elle, impassible, met ses mains sur les siennes pour en accentuer la pression et lentement, penchant son buste en avant, dépose un baiser sur ses lèvres. Son frère sait ne pas pouvoir dominer une adversaire de sa trempe et, doucement, desserre son étreinte. Anne Geneviève l'oblige à se rasseoir et setient derrière lui en massant ses tempes. Son ton se fait caressant :
– Vous avez une armée et derrière vous la Guyenne et la Provence ainsi que la Normandie… Que ne prenez-vous le pouvoir ? Les Espagnols sont prêts à vous soutenir et vos ennemis ne reculent devant rien pour vous détruire, pourquoi maintenir cette fidélité au trône qui n'a maintenant plus de sens et que nul n'exige de vous ?
– L'honneur, Anne Geneviève… Sans honneur un homme n'est rien.
– Vos adversaires en ont-ils, de l'honneur ? La régente, dont nos espions nous ont confirmé la conduite ignominieuse, n'attend que de voir déclarer son fils majeur pour pouvoir rappeler le scélérat dont elle est amourachée. Supporterez-vous de voir à nouveau cet infâme coquin à la tête du pays, ce pourceau qui vous a emprisonné, vous a humilié, multipliant les chausse-trapes et les fausses promesses alors que vous avez perpétuellement servi votre roi avec droiture ?… Vos opposants ne reculent devant rien pour vous avilir et Monsieur, cette mauviette inconstante, ne lèvera pas le petit doigt pour les arrêter. Croyez-vous que je ne sache pas que vous avez dû intervenir pour les faire taire lorsqu'ils s'en sont pris à moi ? Je n'ignore point ce que je vous dois et ne demande qu'une faveur : me mettre au service de votre destin, celui de diriger la France et de porter haut les couleurs de notre maison ! Partons dans une de nos provinces préparer l'offensive, ici nous ne sommes plus à l'abri.
Condé parut ébranlé par tant de conviction. Semblant conforter les propos de sa sœur, le capitaine de sa garde fit à son tour irruption dans la pièce.
– Monseigneur, une compagnie d'hommes à cheval prennent position autour de l'hôtel.
Anne Geneviève sentit les baleines d'osier de son corset s'enfoncer douloureusement dans sa chair en tentant de reprendre sa respiration. Louis réagit immédiatement en guerrier et fit face :
– Combien sont-ils et de quel armement disposent-ils ?
– Difficile à dire mais ils bloquent les accès de la demeure.
– Armez-vous, nous allons les recevoir comme il se doit. Anne Geneviève, regagnez vos appartements et n'ayez crainte, je m'en vais leur faire mordre la poussière !
Son aînée sentit ses sens s'enflammer et baisa sa bouche avec avidité avant de le laisser s'échapper. Sans attendre, le prince partit rejoindre ses soldats devant l'entrée principale, presque heureux de se battre.
À l'extérieur, un énergumène à cheval l'appelait à grands cris, le sommant de se montrer. Louis ne se déroba pas et fit ouvrir la porte par ses gardes.
– Qui ose troubler ainsi la quiétude de mon logis ? rugit-il en avançant d'un pas énergique vers le cavalier tout en faisant un geste de la main pour
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