Le jeu de dupes
soldats aguerris et valeureux maintînt une surveillance étroite autour de la résidence.
L'illustre guerrier aux multiples batailles qui n'avait même pas trente ans ressentait un besoin viscéral de se retrouver seul pour réfléchir. Il venait d'apprendre par l'un de ses espions qu'au Palais-Royal on complotait : ses ennemis poussaient la reine à se débarrasser de lui allant jusqu'à envisager de le faire assassiner. Sa morgue, son caractère emporté, son mépris et son arrogance effrayaient la régente et créaient le vide autour de sa personne. Sa propre sœur lui reprochait de ne pas avoir saisi l'opportunité offerte par Gaston d'Orléans de déposer Anne d'Autriche et de s'emparer du trône en repoussant la majorité du roi à ses dix-huit ans, voire aux calendes grecques. Son pire détracteur avait l'oreille de la souveraine : ce Gondi aux pamphlets injurieux qui dressait l'opinion contre lui multipliant les entretiens secrets nocturnes avec Sa Majesté, soutenu par Madame de Chevreuse, pour la convaincre de le faire exécuter. Dire que ce nain avait eu l'outrecuidance de vouloir faire épouser àson frère Conti sa propre maîtresse dans l'unique objectif d'obtenir le cardinalat en étendant son influence dans la maison Condé ! Il était loin le temps où il devait accepter les mésalliances… Le prince sentait sa colère redoubler d'intensité au souvenir de son propre mariage forcé avec Claire Clémence de Maillé-Brézé, nièce de Richelieu qu'il n'a jamais aimé, lui préférant sa passion de jeunesse la belle Marthe de Vigean. Décidément, sa vie n'était qu'échecs et coups du sort comme le constat amer que la cour s'alliait dorénavant à la vieille Fronde pour l'abattre. Cela le révulsait.
Jusqu'alors le prince ne redoutait que d'être de nouveau incarcéré, ce qui expliquait qu'au mépris de l'étiquette il ne se rendait plus au palais pour rendre hommage à la reine. Il savait à présent que ses adversaires projetaient purement et simplement son élimination, rumeur confirmée par Hugues de Lionne, secrétaire d'État de la régente, que le procédé répugnait.
Condé a un triste sourire en imaginant la reine consulter ses confesseurs pour savoir si elle peut songer sans craindre le châtiment divin de donner l'ordre de l'expédier ad patres pour être enfin en mesure de rappeler son favori, cet abominable et exécré gredin Sicilien.
Son agent est formel : seul le marquis de Senterre le déconseille, tous les autres semblent souhaiter sa mort. Lui qui a plusieurs fois sauvé le trône de France, offrant une protection indéfectible à la régente, et qui porte dans sa chair les traces de sa bravoure se voit donc ainsi récompensé… Il a reçu le coup de grâce deux jours auparavant avec une révélation incroyable : le marquis d'Hocquincourt,qu'il croyait son ami, s'était proposé de l'enlever durant son sommeil pour le livrer au bourreau.
Le prince ressent une terrible injustice. Grand guerrier, fin stratège, charismatique et brillant, il n'a hélas pas l'once d'une intelligence émotionnelle qui lui permettrait de comprendre que son sentiment écrasant de supériorité, son insupportable arrogance, son mépris de ses semblables et de leurs sentiments, son caractère emporté et lunatique, en un mot son autisme affectif, l'ont brouillé avec tous ses alliés et sont la cause de sa perte, provoquant l'animosité d'une suzeraine qui envisage désormais de le supprimer pour s'en préserver.
Pourtant les choses sont simples : il est l'homme le plus apte à diriger la nation, seul rempart contre la canaille à robe pourpre qui saigne le royaume à blanc pour placer sa parentèle et remplir d'or volé en quantité astronomique ses palais vénitiens en profitant de la faiblesse d'une femme et de la minorité du roi. Il ne conçoit tout simplement pas qu'on puisse penser différemment. Comment admettre qu'on veuille le détruire après tant de bons et loyaux services rendus à sa patrie, lui, le pair de France aux victoires éclatantes. Pis que tout, voilà qu'on s'attaque à sa sœur adorée en tentant de la salir d'abominable façon et de le faire chanter à travers elle. Ses adversaires sont vraisemblablement prêts à commettre toutes les bassesses. Un instant le guerrier se demande si la mort n'aurait pas dû le faucher sur un champ de bataille à l'instar de tant de ses anciens compagnons d'armes.
Il émerge brutalement de ses idées noires en constatant avec rage
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