Le jeu de dupes
empêcher ses soldats de le suivre.
– Celui à qui vous allez rendre des comptes, rétorqua François de Rohan Montauban venu le provoquer en duel, escorté par les hommes du comte de Lagne.
Le prince toisa avec fureur l'impudent dont ses espions lui avaient appris qu'il avait osé héberger cette traînée de courtisane détentrice des lettres compromettant sa sœur qu'il aurait aimé étranglerde ses mains. Ses informateurs avaient suivi François jusqu'au repaire de Mazarin, puis l'avaient observé se rendre chez Mizgin, l'empoisonneuse, avant de le voir sortir de chez Gondi, assurant qu'il était toujours en possession des odieux écrits. Voilà donc que la reine utilisait cet insignifiant personnage pour venir le provoquer et ce en plein jour au vu et au su de tous.
– Vous ériger contre moi, c'est signer votre arrêt de mort, de Rohan Montauban, je n'ai été que trop clément envers vous !
François sentit sa colère se décupler. Ce démon qui avait saccagé son existence considérait encore qu'il avait été trop miséricordieux ! En se remémorant l'état de Nolwenn à son arrivée à l'hôtel Bessières, en se souvenant des morts que ce prince bouffi d'orgueil avait semé sur son passage, il sauta à bas de son alezan la rage au cœur, arme au poing.
Au même instant, des partisans de Condé prirent l'escadron du comte à revers. Les premiers bruits des lames entrechoquées commençaient à peine à retentir que dans un fracas de sabots un groupe de cavaliers fit irruption dans la grande rue. Une partie se positionna entre les deux belligérants forçant Condé à se replier dans sa demeure tandis que le reste de la troupe encerclait De Lagne obligeant François à reculer pour aller lui prêter main-forte.
Arnaud de Saldagne, à la tête du détachement royal, intima l'ordre aux compagnons du comte, de battre en retraite, au nom de Son Altesse, et les fidèles de Condé cessèrent les hostilités faute de combattants, regagnant peu à peu l'intérieur de l'hôtel particulier. Le baron se dirigea alors vers son beau-frère.
– Que cherches-tu, à te faire mettre aux fers ? Ton attitude est stupide et ne fera pas revenir ton épouse, lui signifia-t-il sèchement.
François prit subitement conscience de la gravité de son acte. Il s'était monté la tête avec le mari de Gabriela et n'avait pu résister à l'envie de défier l'individu qui cristallisait son courroux sans tenir compte des conséquences pour sa famille d'une désobéissance si flagrante aux ordres royaux. Nicolas de Lagne ne paraissait pas très fier non plus. Lorsque le chevalier s'était annoncé à son domicile quelques jours auparavant, il avait été séduit par sa proposition d'affronter Condé face à face et sa haine du prince l'avait aveuglé, l'amenant à soutenir cette entreprise insensée. Gabriela allait l'écharper en l'apprenant.
– Comte, l'interpella Arnaud, j'aurais cru qu'un homme de votre expérience aurait su calmer les ardeurs imbéciles d'un jeune chien fou au lieu de lui fournir les moyens de les concrétiser. Regagnez votre château sur l'heure, vous êtes désormais persona non grata dans la capitale.
L'aristocrate, qui détestait Condé pour avoir tué par amusement l'un de ses mignons en duel, ne broncha pas, conscient de sa chance de s'en sortir à si bon compte.
– Quant à toi, signifia Arnaud à François, tu es assigné à résidence à l'hôtel Bessières. Sache que c'est uniquement grâce à Madame de Motteville que tu n'encoures pas pire sanction. Ma tante s'est donné beaucoup de mal pour t'éviter l'ire de notre suzeraine.
Plus bas il ajouta :
– As-tu seulement envisagé l'embarras dans lequel tu plonges notre famille ? Ton père ferait une attaque s'il l'apprenait.
François baissa la tête. Son interlocuteur murmura :
– Tu l'auras, ta revanche, je te le promets, mais pas ici, pas maintenant. Suis-moi.
Le gentilhomme, une fois l'adrénaline retombée, comprit qu'il n'avait pas d'autre choix que d'obéir.
D'une des fenêtres du bâtiment principal, Anne Geneviève de Bourbon-Condé contemplait la scène avec satisfaction. L'incident allait servir ses projets, elle en était certaine, connaissant son frère, et elle s'en réjouissait. Son contentement fut à son comble en l'entendant donner des ordres pour que l'on prépare immédiatement son départ de Paris pour rallier au plus vite son château de Saint-Maur. Enfin, le prince se décidait à partir, présage de la
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