Le jour des barbares
d’abord introduit dans le pays des
Goths idolâtres par les importants groupes de prisonniers romains traînés
là-bas depuis les Balkans et l’Asie Mineure à la suite des incursions gothiques
du III e siècle. Ils s’intégrèrent assez rapidement au niveau le
plus modeste de la société tribale des Goths, celui des esclaves et des paysans
les plus pauvres ; et ceux d’entre eux qui étaient chrétiens commencèrent
à faire des prosélytes. Après l’institution par Constantin de relations
régulières avec les Goths, on voit apparaître des Goths chrétiens qui ont vécu
plus ou moins longtemps dans l’empire, ont fait des études, savent le grec, et
retournent auprès de leur peuple pour répandre la nouvelle foi. Le plus
important d’entre eux s’appelait Ulfila ; c’est un beau nom germanique, dérivé
de la racine Ulf, le loup, avec la désinence diminutive -la qui
est typique de la langue gothique. Mais ce « Petit Loup » était un
intellectuel qui avait étudié à Constantinople et avait accompli une chose
extraordinaire : il avait inventé un alphabet pour écrire sa langue
maternelle, et il avait traduit la Bible du grec en gothique. De la traduction
d’Ulfila, il ne nous reste qu’une partie du Nouveau Testament (le fameux Codex
argenteus, écrit en encre d’argent sur des feuilles de parchemin de couleur
pourpre) ; mais cela nous permet de connaître la langue des Goths mieux
que toutes les autres langues germaniques du temps des invasions. Cet
intellectuel hellénisé était rentré dans son pays pour servir d’évêque aux
communautés chrétiennes isolées qui existaient déjà au sein de son peuple ;
sa prédication, comme celle de nombreux autres missionnaires venus de l’empire,
suscita une vague de nouvelles conversions.
Mais quelle variante du christianisme Ulfila et les autres
Goths instruits avaient-ils amenée avec eux ? La question était cruciale, et
la réponse allait peser sur les destinées du peuple goth longtemps après
Andrinople. Les chrétiens, en effet, à cette époque, ne s’étaient pas encore
mis d’accord sur la définition de la Trinité, sur la nature du Christ, sur la
relation entre le Père et le Fils, et ils étaient divisés en courants qui se
combattaient férocement. Le courant qui devait finir par triompher était celui
qui s’appelait lui-même catholique, c’est-à-dire « universel », ou
encore orthodoxe, c’est-à-dire « la vraie foi » : selon lui, comme
le proclame encore aujourd’hui le Credo catholique, le Christ est « engendré,
non pas créé, de même nature que le Père ». Mais il existait aussi une
opinion opposée, soutenue par le théologien Arius, selon laquelle le Christ
avait été créé par le Père et lui était par conséquent subordonné. Pour de
telles choses, au IV e ou au V e siècle, on était prêt
à tuer et à mourir. La théorie d’Arius et de ses sectateurs, les ariens, avait
été condamnée comme hérétique lors d’un grand concile convoqué et présidé par
Constantin en personne, à Nicée (dans l’actuelle Turquie), en 325 ; toutefois
l’Église arienne était encore bien implantée, surtout dans l’empire d’Orient, et
ses missionnaires étaient très actifs dans la conversion des païens. Ulfila
avait été consacré par un évêque arien, et les Goths qui suivirent sa
prédication et celle de ses disciples se convertirent à la nouvelle foi dans sa
version arienne.
Presque deux siècles plus tard, au temps de Théodoric et de
Justinien, ce choix causera aux Goths de sérieux problèmes, provoquant une
guerre avec le gouvernement impérial. À l’époque d’Ulfila, personne ne pouvait
encore le prévoir, parce que dans l’empire, surtout en Orient, les ariens
étaient toujours très forts. Il y eut même plusieurs empereurs ariens qui, revenant
sur les décisions du concile de Nicée, tendirent à favoriser l’épiscopat arien
dans sa concurrence, souvent brutale, avec l’épiscopat orthodoxe. Les Goths
convertis au christianisme eurent en revanche des difficultés avec leurs
propres compatriotes, car beaucoup de chefs de tribu étaient hostiles à la
nouvelle religion. Il y eut au-delà du Danube maintes persécutions, et un grand
nombre de martyrs goths furent lapidés, brûlés vifs ou noyés à l’instigation de
leurs propres chefs, en un temps où, dans l’Empire romain, les persécutions
contre les chrétiens n’étaient déjà plus qu’un lointain souvenir.
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