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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’une ardeur sans doute inguérissable. Il sentit sourdre en son tréfonds, au lieu de l’agacement coutumier, une fureur dont il fut angoissé. Élisabeth avait dû s’enticher de lui dès leur rencontre. Il avait essayé de la décourager par la douceur, le mépris, l’indifférence. L’échec, en ce moment, se révélait patent. Devait-il lui demander maintenant, au risque de l’indigner, si elle regrettait d’avoir quitté l’officine de Ferris et pourquoi les attentions de l’homme simple et bon qui l’en avait tirée lui devenaient odieuses ? Il rechignait à comprendre cette âpreté, cette persistance dans un désir irrecevable ; ce fourvoiement d’un corps en peine. C’était son droit de souhaiter d’autres étreintes et d’autres pâmoisons, bien qu’elle eût dû s’en montrer dégoûtée. Qu’elle eût jeté sur lui son dévolu et qu’elle n’en démordît pas transformait peu à peu en exécration un ressentiment que Shirton, assoté par ses nocturnes extases, ne pouvait évidemment soupçonner. Jamais – elle aurait dû s’en douter – il ne trahirait son sauveur pas plus qu’il ne bafouerait la vénération que Griselda lui portait.
    — Regarde, murmura la fillette. Il y a deux pavillons derrière la plumasserie. Le plus petit ne peut être qu’une réserve ; l’autre, j’en jurerais, doit servir de logis à ces trois femmes pour la durée de la fête.
    — Bien vu !… Quel parti comptes-tu tirer de tout cela ?
    — Je ne le sais encore.
    Ogier sentit que de son nez, de son front, Griselda touchait son dos avec l’insistance d’un chevreau d’humeur enjouée.
    Toute proche de la plumasserie, une boutique enluminée comme un reposoir présentait des guirlandes de jambonneaux et de vessies rebondies par différents pâtés. On pouvait admirer sur l’étal incliné des pains ronds et plats comme des boucliers sarrasins, des pots emplis de miel et de diverses compotes, des boudins enroulés pareils à des couleuvres, des amoncellements de saucissons et saucisses, et des quartiers de viande que le boucher ou son épouse morcelaient à grands coups de feuille ou de hachette sur une bille de chêne où les tranchants creusaient des entailles vermeilles.
    — J’ai faim, dit Griselda.
    — Suce ton pouce, c’est de ton âge.
    Élisabeth, toujours. Quelle tortueuse satisfaction prenait-elle à ce jeu ?
    — Je me demande, dit la fillette, comment j’ai fait pour t’aimer chez Ferris.
    N’obtenant aucune réponse, elle tourna la tête.
    — Jack, dit-elle, as-tu pensé où nous allons coucher ?… Je ne tiens pas à dormir sous un arbre.
    — Les prud’hommes seuls et qui n’ont point de chaufferette sont nombreux, il me semble. Tu n’auras que l’embarras du choix… à moins qu’un autre ne se décide.
    Ogier n’osa dévisager Élisabeth. Jamais il ne pourrait la résoudre au silence, pas même à la modération. Une sorte d’indolence ajoutait à ses perfidies une douceur affligeante. Shirton la laissait dire. Sa bénignité faisait peine à voir.
    — J’ai une idée, dit Griselda.
    Tous arrêtèrent leur cheval.
    — Pied à terre, dit Shirton. Mettons-nous à l’écart du chemin.
    Ils obéirent. Élisabeth souriait, assez fïère d’avoir décoché quelques sagettes empoisonnées. Griselda suçait son pouce avec une volupté, une indécence extrêmes. Shirton grattait son nez. Ogier croisa les bras.
    — Parle, dit-il.
    — Eh bien, dit la fillette en s’adressant à Shirton, ces trois femmes qui vendent des plumes n’ont peut-être pas de protecteurs. Elles ont deux pavillons à garder, plus leur échoppe… Il se peut qu’elles aient leur maison en la cité d’Ashby… et leur mari dedans… et qu’elles souhaitent y passer la nuit plutôt que de dormir sous une toile… Et si elles ne sont pas mariées, c’est mieux encore pour nous…
    —  Couette ! Couette ! caqueta Élisabeth. Tu leur envies leur matelas de plumes !
    Griselda se domina. Son petit front sourcilleux redevint lisse. Montrant son dos à l’importune, elle continua d’exposer son idée :
    — Je vais aller leur parler. Je leur raconterai que nous venons de loin… Blackpool par exemple… Je leur dirai qu’on nous a robé notre tente et nos vêtements… et vos escarcelles, messires…
    — Ensuite ? fit Shirton assez peu convaincu.
    — Je leur proposerai de veiller, la nuit, sur leurs richesses sans rien leur demander d’autre que l’asile de leur

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