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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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quand il fait jour… et dès la nuit, j’ai meilleure vue qu’une chouette.
    Il l’avait donc suivie de loin. Avait-il assisté à tout ? Était-il reparti, enragé de désespoir et de honte, avant l’apparition de Griselda, ou bien était-ce lui qui l’avait envoyée ? Il regardait Élisabeth comme jamais il ne l’avait regardée, non plus en la caressant des yeux, mais en perçant ceux qui l’interrogeaient avec une angoisse terrible et en cherchant et trouvant les défauts de ce visage d’où la grâce, d’un coup, se détériorait.
    — Pardonne-moi !
    — Pour Tom ou pour le reste ?
    La violence de leurs premières étreintes n’avait-elle été qu’une sorte de complicité forcenée, sans aucun sentiment qui les eût ennoblies ? En tout cas, une sorte de passion semblait se rallumer chez Élisabeth alors même qu’elle s’éteignait chez Shirton. Griselda s’en aperçut.
    — Pardonne, Jack !… Après tout, tu le sais, elle n’a rien fait de mal… Tom va nous revenir… J’en suis sûre… Demeurez ensemble… Oubliez !
    Shirton se détourna vers la fillette :
    — Après tout ce qu’elle m’a dit ?
    Dans la fixité de ses mâchoires, dans ses joues dures, immobiles, hérissées des piquants d’une barbe en friche, la fillette put lire une condamnation furibonde que nulle plaidoirie ne pourrait plus fléchir. L’approbation qu’elle crut trouver dans le regard ennuyé d’Ogier suffit à la récompenser de sa peine.
    — Va-t’en, Lisbeth ! Va-t’en !… Toi, good friend, demeure : au moins tu m’es fidèle et cela me console.
    En signifiant sa décision à tous, Shirton avait rougi. Ogier devina quelle maîtrise il lui fallait pour mater son emportement et se composer un visage sans inimitié pour personne. Élisabeth ne disait mot. Négligeant Griselda qui l’avait secourue, elle posait alternativement sur les deux hommes un regard fier et sagace d’ennemie. Ogier redouta qu’elle n’allât le livrer au premier sergent venu, et n’accablât Shirton de quelque accusation abominable, évidemment mensongère. Cette crainte devint une certitude quand il vit renaître le sourire d’Élisabeth, son regard hautain, son port de tête, et jusqu’à la façon de le toiser comme un coupable.
    — Je ne saurais vous condamner, dit-il. Pourquoi avez-vous…
    Il réprouva la voix qu’il avait prise : une voix doucereuse, mais sincère, quand bien même elle parût manquer de naturel. Élisabeth ne put réprimer un mouvement de recul, comme s’il empestait ; comme si, parvenu à proximité de son corps, de son visage, il allait la contaminer. Sa bouche eut un frémissement, une crispation qu’elle devait avoir dans l’amour lorsque Shirton ne pensait qu’à lui-même.
    — Je n’ai que faire, Ogier, de ta sollicitude, et ne suis pas en peine de réunir des amis !
    Ils regardèrent, découragés, cette femme qui s’éloignait en trébuchant sur ses socques de bois.
    « Sans moi », songea Ogier, « rien ne serait arrivé. Shirton seul n’aurait pas tenté de la délivrer… Mais je ne regrette rien puisque Griselda nous reste ! »
    Malgré la main de la fillette dans la sienne, il se sentait complètement esseulé, incapable de prononcer un mot ou d’accomplir avec aisance un mouvement – comme si tout allait s’effondrer autour de lui pour peu qu’il changeât d’attitude.
    — Crois-tu que j’aie eu tort ? lui demanda Shirton.
    Puis, sans attendre une réponse :
    — Je n’ai pas toujours les yeux dans mon carquois ! J’ai vu depuis notre départ de Brackley qu’elle te guignait comme un dieu. Je sais que lorsque tu t’en es aperçu, tu t’es employé à décourager ses instances… Par amitié pour moi ou par dédain pour elle ?
    — Pourquoi cette question, Jack ? demanda Griselda. Tu connais la réponse.
    Ils ne s’étaient jamais montrés aussi paisibles ; aussi parfaitement maîtres de leurs sentiments. Tout s’était épuré dans leur esprit et dans leur cœur. Griselda regarda ses deux compagnons avec l’admiration d’une enfant sage pour des preux de légende.
    — L’amitié… murmura Ogier.
    Puis, en s’éloignant des plumassières qui commençaient à garnir leur étal :
    — Plus que l’amour, je crois, l’amitié résiste aux épreuves… Je ne sache pas te donner, Jack, un exemple d’amour fort et durable. Lors des événements où l’amitié se resserre et se renforce, l’amour se dénoue et

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