Le jour des reines
mon heaume… Un gerfaut vivant : Tom !
Ils rirent, oubliant tout. Griselda revint, agitant sa dextre enveloppée dans une bandelette noire qui n’était autre qu’un pan de la robe offerte par Shirton à Élisabeth, lors d’une halte à Uttoxeter.
— J’ai sucé le sang et l’ai craché… Mais la plaie coule encore.
— Tant mieux !
— Va me chercher la cage, Griselda. Il est temps d’y mettre Tom.
Sans que Shirton eût à insister, l’oiseau réintégra son gîte.
— Je jurerais, à le voir si obéissant, qu’il a senti sur lui le vent de quelques empennes.
Ogier approuva Griselda. Tant de docilité de la part du rapace le laissait pantois.
— J’ai parlé aux plumassières, dit la fillette en frottant sa main blessée. On ne leur a rien robé ; elles ont décidé de nous renouveler leur confiance et m’ont proposé de les aider.
— Fais-le !… Si les bouchers sont aussi accommodants, nous aurons notre nourriture assurée. C’est déjà beaucoup d’avoir l’agrément des commères et de veiller sur leurs trésors.
— Lesquels ? demanda Griselda. Leurs plumes ou leurs attraits ?
Elle riait, un soupçon de jalousie dans le regard. Ogier se retourna comme pour admirer les plumassières. Elles étaient charnues sans être grosses, toutes soignées, avec des tresses qui leur descendaient aux hanches. Aisées à conquérir. Leur liberté flottait comme une bannerole. Elles souriaient ; parfois, sous le carmin de leurs lèvres, brillaient des dents nacrées et des gencives roses.
— Je suis sûr, dit Shirton, qu’elles nous veulent du bien.
Il semblait soulagé d’être seul. Il renaissait à l’amitié.
— Hé ! Hé ! fit Griselda. Tu t’es guéri d’Élisabeth. Veux-tu retomber malade ?
Sans attendre une réponse, elle s’éloigna d’un pas sautillant.
*
Les cantonnements et les abords du château s’animaient. Des palefreniers et des fourrageurs commençaient à passer, conduisant des charrettes et des charretons vides. Les lourds clapotements des fers des limoniers, les couinements des essieux et les crissements des graviers écrasés venaient mourir devant l’édicule des plumassières et l’échoppe du boucher occupé à réinstaller ses guirlandes et monticules de mangeaille avec l’aide d’une fillette à peine plus âgée que Griselda.
Des écuyers, sur leur cheval ambleur, prenaient plaisir à entendre cliqueter leur épée contre leur heuse de cuir ou le fer de leur jambière. Certains portaient des enseignes blanches, rouges, en mollequin, ou des pennons en soie, de sable, de sinople, longs et fendus trois ou quatre fois. Fourbies depuis la veille au soir, les cuirasses miroitaient. Et c’était à qui, chez ces damoiseaux, se rengorgerait le plus et, à défaut de briller dans la lice, ferait dès maintenant flori pour attirer l’attention de la gent féminine, fort rare encore, et composée de servantes allant vider les seaux d’aisance ou rapportant d’un puits, suspendus à la courge [142] fermement maintenue sur l’épaule, deux chaudrons d’eau nécessaire aux toilettes d’un seigneur ou de sa dame.
— Place, manant, sinon tu connaîtras le poids de cette hampe !
Ogier se recula pour laisser passer un chevalier en hoqueton et chaperon noirs. L’homme poignait une lance à l’extrémité de laquelle ondoyait un pennon vermeil semé de lis d’or florencés [143] . Il exhibait un volet de soie bleue à sa cubitière senestre. De longs éperons dorés, garnis d’un grelot, tintaient à ses talons.
— Tiens, dit Shirton, si tu suis cet outrecuidant, il te mènera peut-être à ta cousine. C’est messire Lionel de Dartford.
— Je n’ai pas oublié ce nom-là… Ta mémoire est bonne.
Shirton parut faire un effort pour sourire :
— Je n’ai pas grand mérite : Lionel de Dartford compte parmi les meilleurs jouteurs du royaume, mais il n’a jamais vaincu Cobham et sire Nigel Loring. Il n’est pas surprenant qu’il soit venu à Ashby… Reste à savoir si sa femme et ta cousine l’accompagnent et, en ce cas, où ces dames sont hébergées… À moins qu’ils ne couchent tous trois dans son pavillon. Je sais où il se trouve et pourrai t’y conduire…
— Rien ne presse.
— Que regardes-tu ?
— Ces bannières et pennons qui baloient [144] et ventilent. La plupart sont d’un jaune et d’un pourpre si vifs qu’on dirait une forêt embrasée par le haut.
Des cris de plus en plus nombreux
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