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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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fuseau brun serpenta entre ses mollets. Une anguille. Tom l’aurait vue avant lui.
    Alors qu’il s’habillait, songeant au balbuzard, quelque chose de gris effleura son épaule sans daigner s’y appesantir.
    « C’est lui ! C’est Tom !… Jack l’a-t-il donc délivré ? »
    Le rapace plongea. Une espèce d’œil immense cligna sur la surface miroitante et fit trembler comme de grands cils gris quelques-uns des roseaux déployés sur la rive. Puis Tom réapparut, s’éleva d’un coup d’aile : un poisson brillait dans son bec.
    « Il s’enfuit et va s’ébattre dans cette friche ! »
    Ogier fit quelques pas pour rejoindre l’oiseau.
    — Tom !… Tom !
    Le fugitif réapparut. Laissant choir son butin, il partit s’agriffer à la branche d’un charme d’où son regard faussement somnolent tomba sur l’empêcheur.
    — Que fais-tu là ? Est-ce Jack qui t’a ouvert ?
    Cessant de cligner ses paupières de spectre, le rapace concentra son attention sur l’étang ; ses pupilles immobiles percèrent la nappe d’eau avec la même vigueur que ses griffes pénétraient la bourre des épaules et les replis des chaperons.
    — Viens ! Ce n’est pas un jour de basse volerie.
    Bravant l’étreinte des serres, Ogier tendait son poing. Tom s’ébouriffa et frémit. Il eut, en même temps qu’un cri réprobateur, une sorte d’épanouissement de tout son être. Après s’être secoué, il s’éleva d’un vigoureux coup d’aile. Ses pattes râtelèrent les cheveux du garçon dont un nouvel appel fut inutile. Dominant l’étang gris de trois ou quatre toises, il se hissa dans l’air avec la force d’un nageur brassant à contre-courant avant de planer très haut, souple et silencieux, jouant de temps en temps de ses longs membres dont la mollesse fallacieuse enchanta Ogier, une fois de plus.
    — Reviens !
    C’était perdre sa peine : Tom n’obéissait plus. Son séjour dans la cage lui avait redonné le goût de l’immensité. Il se revanchait d’une humiliation imméritée.
    — Garde-toi des sagettes !
    Tom poussa un cri aigu : «  Kik ! Kik ! » cherchant dans les nuages une brèche bleutée. N’en trouvant pas, il traça des orbes de plus en plus grands, montant et descendant selon les souffles du vent et s’appuyant parfois dessus à lents et vigoureux coups d’aile.
    — Allons, viens !
    Brusquement le vol de l’oiseau s’abaissa. Il tomba comme une pierre de fronde dans l’eau et ricocha à sa surface. «  Kik ! Kik ! Kik ! » Il jubilait de désobéir. Soudain, ses grandes manches de plumes rentrées, le cou tendu, il alla crocheter une vague brillante, disparut comme dans une trappe et ressortit à grands coups de rames, toutes ses plumes ventrales argentées de perlettes.
    « Kaïk !… Kaïk !… Kaïk ! »
    Il semblait célébrer son émancipation.
    — Viens !… Tu n’as rien pris !
    Le rapace disparut sans cesser de crier son plaisir.
    Espérant sentir sur son épaule ou sur son chaperon enfin remis une prise, Ogier rebroussa chemin.
    Des bruits s’élevaient. Des formes se mouvaient hors du sentier de viornes et de bouleaux malingres dans lequel il s’était engagé. Les épaisses rayures des troncs crayeux contrastaient avec la grise et tortueuse épaisseur des arbres en partie défeuillés. L’air s’imprégnait encore de l’odeur de l’étang, presque pareille à celle des buis de Rechignac et de Gratot, senteur funèbre que vinrent absorber des fumets de viandes rôties.
    « Jack est fou d’avoir libéré Tom !… Je le lui dirai ! Il ne sait plus ce qu’il fait… Élisabeth l’a déhaité [138]  ! »
    Il hâta le pas sans trop savoir pourquoi, glissant sur des pelures de légumes et des abattis de moutons et de volailles, jetés là par des queux et des serviteurs sans scrupule.
    Il évita une levée de tentes grises, inégales, enfouies en contrebas. Trapues, rapiécées, imparfaitement rondes, elles semblaient des champignons énormes et vénéneux. Sur des fils tendus entre les arbres, des linges pendaient, révélant des médiocrités assemblées.
    « Des chevaliers d’aventure. »
    Une venelle buissonneuse et déclive conduisait à une sorte d’enclos où, éloignés les uns des autres afin de pouvoir ruer sans dommage, six roncins sabotaient en attendant leur pitance.
    Des hommes s’habillaient en riant. L’un d’eux, nu et pâle comme une statue païenne, renversa un chaudron plein d’eau sur sa

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