Le jour des reines
il allait me faire occire.
— Si l’on te reconnaît… Es-tu marié ?
— Oui.
— Ah ! là là… C’est un gars comme toi qu’il aurait fallu à Tancrède. J’y ai pensé parfois… Pas toi ?
— Non…
C’était mentir. Et Guillaume, ce vieux finaud, n’était sûrement pas dupe de cette menterie.
— J’ai épousé la fille d’Herbert Berland, un chevalier poitevin. Elle était grosse quand je suis parti pour Calais.
Moins il en dirait, mieux cela vaudrait.
— Si je fais en sorte de vous tirer de votre géhenne, me promettez-vous, mon oncle, de m’obéir aveuglément ?
— Je ne puis quitter Barbeyrac, Fuir, oui ; l’abandonner, non.
— Accepterait-il de mettre sa vie en péril ?
— Oui, répondit une voix derrière la portière.
— Étienne est un ami sûr, mon neveu.
Guillaume sembla tout à coup absent, dépourvu de passion et d’opiniâtreté. Doutait-il de la réussite ?
— Il se peut que je meure ici, dit-il d’une voix presque indistincte. J’y ai pensé quand je me suis évadé de Hantonne le lendemain de notre arrivée – hein, Barbeyrac ? – et qu’ils m’ont repris… Mourir d’une sagette ou d’un épieu dans le dos en leur faussant compagnie, c’est encore une honnête et dernière prouesse !
Ogier voulut se récrier ; il n’en eut pas le temps : une ombre les dominait : Shirton, sa cruche serrée entre son bras et sa hanche.
— Il faut partir, dit-il. Tu t’es trop attardé… Nous reviendrons demain, messire… Hâtons-nous : ils arrivent !
Point d’effusions ; point d’au revoir. Et demain, bien qu’une nacre blonde apparût dans le ciel, c’était loin.
*
Hors d’atteinte des brumes et des froideurs nocturnes, Griselda dormait à la lueur d’un chaleil dont l’huile presque épuisée répandait sous la tente une odeur de ranci. Le souffle de l’enfant se percevait à peine. De sa paume, Ogier effleura le front moite et brûlant. Aucun doute : la fièvre s’était aggravée.
— Va-t-elle mieux ?
Les yeux de Shirton brillaient comme deux écailles noires.
— Non… N’y touche pas : tu la réveillerais.
Ogier s’était exprimé durement. Une sécheresse incongrue, malséante, avait pris possession de son âme. Au-delà d’un désespoir immense, désormais, son unique sentiment était une aversion infrangile contre Élisabeth.
— Si cette gaupe n’avait pas libéré Tom, sans doute aurait-il mis moins de hâte à nous rapporter le premier poisson venu !
Il ne parvenait plus à se contraindre. Il était le témoin d’une affreuse injustice. Shirton s’inquiéta :
— Prends garde : l’angoisse fausse ton jugement. Dans cette affaire-là, Lisbeth est innocente. C’est à nous deux qu’elle en voulait. Nullement à la petite.
Il ajouta, le regard dirigé vers un bouquet de plumes blanches suspendu au fond de la tente :
— Je conçois ton courroux. J’en éprouve envers Lisbeth, mais je ne te suis pas dans cette exécration !
Ogier, l’esprit et le corps gavés de nuit, se ressaisit :
— Il faut qu’un médecin conjure cette fièvre. Trouves-en un !
— En plein jour, je t’ai dit que c’était difficile. En pleine nuit, c’est une quête inutile.
Shirton avait raison ; cependant, tout provisoire qu’il fut, ce renoncement prenait une tournure désagréable. Quelques jours avant, et pour secourir Élisabeth, il eût semé l’émoi parmi les mires présents à Ashby. L’idée du péril où s’enfonçait Griselda s’ancrait en lui, cependant :
— L’aube est proche. Un mire viendra… Je l’en supplierai au besoin.
Ogier n’eut pas le front de se moquer d’une affirmation pareille : la sincérité était aussi apparente, dans le caractère de Shirton, que sa compassion tardive, mais réelle, pour Griselda. Inquiet au point d’oublier Tom qui, proche de lui, piochait le fond de sa cage, l’archer se reprochait sans doute d’avoir refusé une vérité simple et forte.
— Nous ferons, dit-il, passer la petite pour l’aide des plumassières. En attendant, je vais me reposer sous leur étal et surveiller celui d’à côté.
Ogier s’allongea auprès de la fillette. Son anxiété, vivement développée par le repentir de Shirton, le rendait plus sensible à cette présence d’enfant, à sa façon d’anhéler, à ses râles brefs mais terribles. Bien qu’il n’eût plus rien à apprendre de la mort, il se refusait la tentation de se lever
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