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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sur un coude afin d’épier, dans la lumière incertaine, ce visage blêmi et vieilli d’un seul coup. L’idée que Griselda pût achever ainsi sa brève existence lui parut un instant insupportable, mais brusquement, il eut la certitude qu’elle mourrait parce que la vie, pour elle, n’offrait aucune autre issue que cet esclavage auquel il avait mis un terme, et dont elle haïssait le souvenir.
    « Si elle guérit », décida-t-il, « je l’emmènerai avec moi. »
    Quelle marmouserie !… Shirton s’en fût gaussé s’il l’avait entendue.
     
    *
     
    — Elle est bien mal.
    — Oui, Jack…
    Ogier sut résister à l’envie d’ajouter : « Qu’attends-tu pour partir quérir un médecin ? » Allait-il devoir se lever, pousser Shirton par l’épaule dans tous les campements et jusqu’au château même, en l’obligeant à s’enquérir d’un mire ? Non, sa sécurité, leur sécurité prévalait sur la santé de Griselda dont les paupières s’ouvraient enfin.
    — Tu es là…
    — Je ne t’ai pas quittée de toute cette nuit.
    — Jack aussi…
    — Le jour se lève. Il va nous amener quelqu’un qui te guérira.
    Ogier sentait son cœur désespérément lourd tandis qu’avec une hâte insensée, il recherchait sur le visage de la fillette tous les agréments qui l’avaient charmé : le front droit, obstiné ; les yeux gris, très larges, auxquels de minces rides au bord des joues donnaient une douceur pathétique ; cette petite bouche, si souvent déclose par un sourire, sur des dents solides et blanches.
    — Un mire ?… C’est du temps perdu. Tes craintes n’étaient pas des paroles en l’air. Ce poisson m’a empoisonnée.
    Ogier, agenouillé, ne sut que répondre. Bien que l’éloquence n’eût jamais été son fort, il avait, ce matin, une langue de plomb. La nécessité qui s’imposait à lui, c’était celle de trouver une équivalence à une élocution défaillante. Or, il était aussi incapable d’un geste. Son esprit pourtant inventif lui refusait toute aide.
    — Quand je t’aurai quitté, tu regretteras peut-être de m’avoir… épargnée.
    Griselda n’osait dire : «  Quand je serai morte » pour conjurer l’ultime espoir qu’elle se donnait de vivre. Ogier sentit un regard sur sa nuque : Shirton, lui aussi, cherchait en vain des mots et n’émettait parfois qu’un soupir accablé.
    — Ogier, réponds-moi : si Lisbeth était présente, crois-tu qu’elle se réjouirait ou qu’elle verserait des larmes ?
    Les joues déjà creusées prenaient une teinte cireuse. La tête légère, nimbée d’or poisseux, remua sur le manteau qui lui servait d’oreiller.
    — Pas besoin, maintenant, d’une corde à pendu pour danser Là-haut… Vous lui direz, à Lisbeth, que j’aurais voulu l’aimer comme on aime une mère…
    Ogier retint péniblement un sanglot. Cet aveu ne le surprenait pas. Il en avait parfois perçu la substance dans les regards que la fillette lançait à leur compagne. Griselda avait essayé d’obtenir d’Élisabeth un semblant d’affection à défaut d’un amour sincère, mais l’égoïsme de son aînée était trop violent pour qu’elle discernât, sous la housse des moqueries peu nombreuses et d’autant plus acérées, cet immense besoin d’être couvée comme une enfant véritable.
    — Veux-tu que Jack te l’amène ?… Elle erre dans Ashby ; nous l’y avons vue.
    Ogier se tut, effrayé par sa proposition : en s’informant ainsi des désirs de la fillette, il la confirmait dans ses certitudes.
    — Qu’en dis-tu, Griselda ?… Dis, m’amie… réponds-moi !
    L’extrême faiblesse de la malade lui ôtait tout mouvement, toute expression de vie. Si elle n’avait ouvert les paupières, il eût pu la croire inanimée.
    — Griselda, dit-il, Griselda…
    Un moment, leurs yeux s’exprimèrent mieux que leurs bouches, ceux de l’enfant révélant un désespoir sans limites.
    — Je veux bien revoir Lisbeth…
    Shirton s’inclina. « J’y vais… » dit-il en quittant la tente.
    Sitôt sur le seuil, les plumassières l’entourèrent. Ogier l’entendit répondre à leurs questions chuchotées.
    — Je vous aurai donné moult ennuis et déconvenues !
    — Aucun. Je t’en fais serment, Grisélidis.
    Elle rit. Elle s’efforçait à un enjouement d’autant plus pitoyable que la proximité de leur séparation lui rongeait l’âme tout autant que le venin son sang. Puis elle ferma les paupières et

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