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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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demeura immobile, ses cheveux éparpillés en mèches sinueuses sur son oreiller de pauvresse, les mains un peu crispées l’une contre l’autre, si pâles qu’on voyait, sous la peau mate et froissée, le bleu lacis des veines. Ainsi, tout absorbée dans ce pernicieux répit, une résignation tellement inattendue émanait de la fillette qu’Ogier se refusa de la troubler d’un mot, d’un souffle, et que son regard même lui fit l’effet d’un sacrilège.
    — Reste, dit-elle. Ne remue pas… Tu bougeras plus tard, toi… Laisse-moi reprendre un peu de vie… comme on reprend un gobelet de vin…
    La bouche décolorée, aux commissures tombantes, serrée, tordue même par la lutte dérisoire que Griselda soutenait contre le mal, s’ouvrit un peu. Entre deux crispations, elle ajouta :
    — Je voudrais me saouler… de vie et de vin.
    Une enfant, songeait-il. Une enfant dont le corps fluet formait à peine un relief sous les couvertures. Lui qui en quelque sorte avait vaincu la mort, ne sentait plus s’amorcer dans son être, puisqu’il semblait qu’il fut trop tard, un sursaut de protestation vers le ciel, une envie d’invectives entrecoupées de pleurs. Il allait être seul : la solitude du cœur, la pire. Déjà, il en percevait l’innommable froideur et mâchait sa pitié ainsi qu’un fruit pourri. Plus tard, il épancherait sa fureur. Agenouillé devant la Croix et priant pour la petite, il demanderait « Pourquoi ? », mais avant, au-delà de la tendresse blessée, de l’angoisse et des effusions rétractées, il devait rassurer Griselda, l’adjurer de vivre, affirmer qu’il la considérait comme la meilleure des créatures, la plus attachante femme qu’il eût connue. Toute sa ferveur inemployée depuis longtemps se trouvait accrochée à ces paupières lasses, à ces lèvres qui, d’un moment à l’autre – le plus imprévisible, sans doute –, rendraient le dernier soupir.
    Il pensa, effaré : « Où vais-je l’enterrer ? » Car ce devoir lui incombait. Il la prit dans ses bras et la berça, faisant d’immenses et véhéments efforts pour vaincre une détresse violente, insurmontable. Or, cette force qui lui manquait, Griselda la lui fournit :
    — Pourquoi crains-tu de pleurer ? J’en aurais du plaisir au contraire. Je saurais enfin que tu m’aimes comme je le souhaitais.
    Il ne l’avait jamais aimée ainsi, mais il savait déjà qu’elle lui manquerait toujours et que son souvenir brûlerait parfois sa mémoire avec autant d’âpreté que celui d’Adelis.
    Il posa ses lèvres sur le petit front mouillé ; une goutte coula de ses yeux et tomba sur la joue de Griselda.
    — Nos larmes se mêlent, dit-elle en lui entourant le cou de ses bras. Ce que nos corps n’auront pas fait, le meilleur de nous-mêmes y pourvoit.
    Il eut envie de crier : « Tais-toi ! Je ne puis supporter que tu périsses. » C’eût été hâter sa fin. Il devait l’inciter à combattre son mal, lui promettre la venue d’un mire entalenté, exprimer pour l’avenir des promesses dilatoires.
    — Guéris, m’amie, et je satisferai tes désirs.
    Il parlait bas, sans précaution ; elle sourit furtivement :
    — Tu mens bien… Moi, je ne mens pas en disant que tu m’as rendu la vie belle… Surtout, ensevelissez-moi bien profond et ne vous faites pas surprendre !… On croirait que vous m’avez occise…
    Elle souriait ; elle n’était pas fille à refuser la vérité. Il ne put que baiser de nouveau son front moite, aussi pur que celui d’un séraphin.
    — Je n’ai jamais connu de femme si vaillante.
    Le mot femme l’enorgueillit davantage, sans doute, que l’allusion à son courage : tout en la vieillissant, il la rapprochait de lui. Elle eut un gémissement profond et il la serra plus fort. Quand il la relâcha, elle dormait.
    Il se pencha, incrédule. Elle exhalait un souffle faible, mais régulier. Son visage était paisible.
    Reprenant espoir, il fut tenté d’aller au-devant de Shirton, mais c’eût été folie. D’ailleurs, où était-il ?
     
    *
     
    Shirton réapparut en fin de matinée. Il était accompagné d’un vieillard maigre et bancroche, vêtu d’un surcot noir doublé de mouton car des touffes de laine émergeaient de ses déchirures. Ses heuses crottées se relevaient sur le devant, pareilles à des poulaines dont il eût tranché l’extrémité. Un chaperon brun le coiffait ; ses cheveux blancs, aussi longs et vrillés que des cheveux de

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