Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
femme, en débordaient. La pointe de sa barbe atteignait sa ceinture.
    — Enfin !
    Une allégresse sans mesure agita tout à coup Ogier. Il se mit à trembler, à claquer des dents. Son âme noircie, amollie par l’affliction et l’impuissance de ne pouvoir guérir Griselda, se conforta, s’illumina d’espérance. L’éclat du regard de ce mire, vif et même violent, lui parut de bon augure. Le long bâton de frêne sur lequel le médecin s’appuyait, qui n’était autre qu’un tronçon d’arme d’hast, eut pour lui des vertus de baguette magique.
    — Tu as bien tardé, reprocha-t-il à voix basse à Shirton.
    — J’en ai vu, supplié quinze !… C’est le seul qui ait consenti à me suivre.
    — Il n’a rien que son bâton… Où met-il ses remèdes ?
    — Il soigne par l’attouchement des mains.
    — Un sorcier !
    Toute la joie d’Ogier s’écrasa sous le poids d’une répugnance invincible. Il trouva aussitôt que l’homme noir avait une peau trop blafarde, un nez trop crochu, de trop longues oreilles bourrées d’une étoupe grise, une bouche lippue de bâtard sarrasin. Il fut tenté de repousser sans rudesse, mais fermement, ce grand corbeau de mauvais augure qui semblait emporter son perchoir avec lui ; mais Shirton l’emmenait et lui faisait des grâces :
    — Par ici, maître Remlin… Viens-tu, Ogier ?
    — Nous serions trop nombreux. L’air est rare, là-dessous.
    Il désignait la tente. Il s’éloigna, rageur, vers le château : plus rien ne comptait que sa déception et son envie de marcher.
    La foule l’engloutit, agitée de remous d’autant plus nombreux et vigoureux que le chemin, bosselé de pavés gras, ne laissait circuler de front que trois ou quatre personnes. Dans un continuel coudoiement qui, parfois, provoquait des jurons ou des cris de reproche, la noblesse et le commun se mêlaient, et même quelques follieuses empanachées, accoutrées comme des princesses et dont les décolletés hardis semblaient un défi à la fraîcheur du temps plus qu’à la concupiscence. On allait admirer ou l’on venait d’admirer, dans la grand-salle du donjon, les heaumes et les écus des jouteurs, et l’on se promettait de belles émotions.
    « Ne pense à rien… Essaie d’oublier la petite !… Fais confiance à ce mire qui n’est peut-être qu’un apothicaire… Laisse-toi mener… Tu es libre, aussi libre que n’importe lequel de ces Goddons… Méfie-toi seulement des gens de Winslow. »
    Quelque effort qu’il fît pour se reprendre et chasser son inquiétude, Ogier savait qu’il n’y réussirait pas. Des jouvencelles et des dames l’observaient – nobles, bourgeoises, servantes – et certaines échangeaient des propos en riant. Il était sans rêve et sans convoitise, et d’ailleurs leurs œillades lui étaient-elles destinées ? Bien que rendu plus sensible aux attraits de la féminité par des semaines de continence, son esprit, tout empli de Griselda, ne pouvait s’embraser.
    Il dut se ranger sur le bas-côté pour laisser le passage à quatre chevaliers en armure. D’emblée, il reconnut Simon de Brackley, tête nue, et Lionel de Dartford, coiffé d’un bassinet à la ventaille déclose et dont un écuyer portait le gonfanon de soie vermeille semée de lis florencés.
    Les deux barons montaient des destriers couverts d’un sambuc gris ; leur tête était garnie d’émouchettes dorées.
    « La richesse et l’orgueil ! » enragea Ogier.
    Son front, ses tempes le brûlaient. Il lui semblait que rien de sa douleur de perdre Griselda n’échappait à ces centaines de regards, autour de lui, égayés par la fête et par le soleil froid, presque blanc, qui dominait Ashby.
    Les arbres se clairsemèrent ; un gravier épais remplaça les pavés. Le château apparut, gris sur le fond bleu d’un ciel où les nuages, rares, semblaient figés. L’enceinte en était haute, d’une simplicité hostile aux regards et aux pénétrations, avec de brèves courtines aux murs certainement forés de galeries et d’escaliers noyés d’ombres propices aux complots et aux crimes. Son plan dessinait un quadrilatère irrégulier, ceint de fossés envahis d’eau bourbeuse. L’énorme ceinture de pierre était cantonnée de quatre tours rondes coiffées d’ardoise, reliées par de hautes parois qu’interrompait, en leur milieu, un bastillon sans toit, mais crénelé [163] .
    Ogier s’arrêta. Tandis que la foule s’éparpillait sur l’esplanade,

Weitere Kostenlose Bücher