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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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plus regarder Griselda. Une mollesse soudaine envahissait son esprit, noyant d’un seul coup ses desseins, les promesses faites à Guillaume – tout ce qui divergeait de la petite morte. Jamais il ne s’était senti dans un tel état d’abandon, pas même dans les ténèbres du souterrain d’Angle-sur-l’Anglin après que les malandrins de Guichard d’Oyré l’eurent tourmenté. Cette horreur retrouvée malgré lui paraissait bien médiocre comparée à la commotion, à la douleur où le plongeait un trépas pourtant attendu. Comme pour le narguer flottaient dans sa mémoire des débris de sa vie auprès de Griselda tandis qu’il sentait grandir des périls qui prendraient tout leur poids, toute leur violence dès le lever du jour et surtout la prochaine nuit.
    — Il semblait, Jack, qu’elle me portait bonheur.
    — Elle était mièvre [182] . Je n’ai jamais vu de jungleresse aussi légère sur une corde. Il semblait, par ma foi, qu’elle défiait…
    Shirton allait dire : « le ciel ». Il s’était abstenu dans la crainte superstitieuse que Griselda n’y fût point admise. Ogier retint son souffle pour étouffer des sanglots qui l’eussent peut-être desservi aux yeux de son compagnon, lequel paraissait grelotter.
    — Si elle nous voyait en ce moment…
    — Elle serait heureuse, Ogier. Elle verrait que tu l’aimais plus qu’elle ne le croyait, et qu’elle avait empli nos vies.
    Puis, désolé par ce qui allait suivre :
    — Il nous faut l’ensépulturer… À cent pas d’où nous sommes, derrière nos chevaux… L’un d’eux nous aidera à tasser la terre…
    Shirton soudain marcha vers le seuil de la tente :
    — Bon sang ! elle ne sera pas seule ! Tom lui tiendra compagnie ! C’est lui qui l’a tuée…
    Ogier retint l’archer par sa ceinture et, la voix d’autant plus cinglante qu’il s’efforçait à chuchoter :
    — Deviens-tu fou ?… Tu ne toucheras pas à Tom !… Il n’est pour rien dans ce malheur et tu le sais !… Tom était fier de nous apporter ce brochet. Heureux de le déposer à nos pieds… Heureux de nous faire plaisir… La perte de Griselda n’est ni sa faute, ni la tienne, ni la mienne… ni même celle d’Élisabeth qui lui ouvrit sa cage !
    — Alors la faute à qui ?
    Ogier fut frappé par la tristesse, la lassitude, voire le désespoir de l’archer. La mort de Griselda semblait parachever la maussaderie où l’avait plongé le départ d’Élisabeth. Il craignit pour sa circonspection et son habileté.
    — La faute à qui, Jack ?… Est-ce que je sais !… Mais si tu m’autorises un conseil, un sage conseil de frère, eh bien, va soigner Tom ; donne-lui à manger… Il est aussi ton ami, notre ami… et nous n’en avons plus guère, à ce qu’il semble !
     
    *
     
    Les plumassières disposaient d’une houette et d’une pelle avec lesquelles, avant d’installer leur étal, elles avaient nivelé le terrain. Se relayant à la tâche avec un acharnement aussi bien dû à leur douleur qu’à l’approche de l’aurore, Shirton et Ogier creusèrent une fosse profonde où, faute de cordes pour retenir sa descente, ils laissèrent choir la dépouille de Griselda. Elle se recroquevilla en tombant, « comme si elle voulait se protéger du froid », dit Shirton, tandis qu’Ogier lançait dans l’excavation une poignée de terre. Il se signa ensuite et s’étonna que son esprit fût vide de prière.
    — Hâtons-nous, dit Shirton.
    Lorsque le Noiraud eut aplani la sépulture et qu’ils l’eurent jonchée de feuilles mortes, recroquevillées, elles aussi, Shirton, éploré, s’inquiéta :
    — Qu’allons-nous raconter aux plumassières ?… Aux bouchers ? Nous devons quitter cet endroit !
    Ogier voyait à peine l’archer à travers ses prunelles embuées.
    — Toi, Jack, tu partiras. Pour moi c’est impossible. C’est ici que Tancrède doit me rejoindre si elle accepte de m’aider.
    — Si elle n’y consent pas, tu vas t’exposer tout un jour aux regards des Winslow, de Ferris – que je n’ai pas vu, mais qui peut survenir –, à ceux de Simon de Brackley et de ses hommes… sans oublier Élisabeth… Et puis, que diras-tu à ces gens qui nous ont accueillis et qui ne vont pas tarder d’arriver, s’ils t’interrogent sur la petite ?
    Ogier ne trouva rien à opposer à une argumentation pareille. L’éclat des yeux de Shirton, de ses dents, son visage tendu en avant lui donnaient un air hargneux,

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