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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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protéger sa vertu… Je pense qu’elle viendra parce qu’elle doit venir : si Ashby, présentement, est gouverné par un sénéchal dont je me soucie peu du nom, le château et les terres sont à Thomas Holland, l’amant de la belle Jeanne.
    Tancrède, comme toujours, renonçait aux ambiguïtés serpentines. Regardant un à un les compagnons de Guillaume, elle les prit à témoin de sa déconvenue :
    — En l’absence de Jeanne, je ne puis refuser de m’asseoir à la place la plus convoitée de l’échafaud des dames, mais avant qu’Édouard me fasse jeter dans son lit avec la complicité de Dartford, son conseiller, j’aurai sauté sur un coursier pour galoper à votre ressuite… De toute façon, j’ai décidé de fuir et je vous rejoindrai…
    — Une fille de France pour reine ! grommela Guillaume. Ils n’ont aucun respect des donzelles anglaises… Défie-toi de la jalousie de ces souillardes !
    Un sourire anima la bouche de Tancrède. Il s’adressait à son cousin :
    — Elles ne sont pas toutes laides… Pas vrai ?
    Puis à Guillaume, mais en incluant Ogier dans sa réponse :
    — Je me méfie davantage des hommes !
    Un peu de clarté bougea dans les yeux de Guillaume ; ses bras se levèrent comme s’il voulait étreindre cette fille « perdue », retrouvée chez l’ennemi. Il n’osa poursuivre ce geste de crainte que Tancrède ne reculât dans les ténèbres. Quant à elle, il lui eût semblé fâcheux de se laisser aller contre cette poitrine haillonneuse et malodorante. Elle avait éprouvé le besoin d’appeler Guillaume Père sans qu’une quelconque idée de sujétion ne l’eût prise. Ils se taisaient. Eux seuls savaient si des plaies mal cicatrisées s’étaient rouvertes dans leur cœur.
    — Il est temps de partir, dit Shirton.
    Guillaume hocha la tête et, sans cesser de regarder Tancrède :
    — Je sais ce que tu penses. Ce que tu as toujours pensé.
    Elle sut d’emblée à quoi il faisait allusion. Ogier également.
    — Il me suffit, cette nuit, de comprendre ce que vous êtes pour moi et ce que je suis pour vous.
    — Qui que tu sois, tu es ma fille. Je te dirai pourquoi si j’en ai le loisir.
    Guillaume, à bout de nerfs, soupira, puis avec une sorte de repentir hargneux :
    — J’aurais dû te garantir des mots que l’on murmure, des faussetés et calomnies que l’on distribue comme des friandises aux avaleurs de sornettes… Voilà, me semble-t-il, ce qui doit nous suffire… et nous consoler de tout.
    Guillaume s’exprimait plus bas, plus lentement, pour que cette apologie qui terminait une longue discorde trouvât place en un cœur inconnu et sauvage. Tancrède avait-elle souffert autant que lui ? Certes non. Et même, avait-elle souffert ?
    — Garde-toi, ma fille  !… Rejoins-nous… J’aimerais, si peu que ce soit, même un seul jour, te revoir à Rechignac, et je bénis Dieu par avance de m’accorder cette grâce.
    Tancrède réprima un sanglot. Même si elle avait menti, finaudé dans ces retrouvailles pour inculquer à Guillaume la force et la volonté de distancer l’Anglais abhorré, elle n’avait pu sans émoi entendre prononcer le nom d’une forteresse qui, dans la mesure où une demeure peut influer sur un caractère, l’avait faite telle qu’elle était. Par la magie d’un seul nom – le sien, quoi qu’elle en eût pensé –, elle communiait avec ce vieillard soudain régénéré ; ce baron qui l’avait chérie quelle qu’eût été l’opinion qu’il s’en faisait, au détriment de son aînée, Claresme.
    — J’irai à Rechignac, Père. Et vous me pouvez croire : j’irai avec plaisir.
    Tancrède offrit son front à Guillaume. Il n’osa le baiser mais ses lèvres l’effleurèrent comme elles eussent effleuré les pétales d’une fleur rare. Ensuite, elle fit un pas vers Ogier. Il lui baisa la joue sans pouvoir dire un mot.
    — Dieu te garde, cousin… Nous nous retrouverons.
    Puis à Shirton et Barbeyrac :
    — Messires, soyez prudents. Je vous recommande mon père.
    Elle allait s’éloigner, elle se détourna :
    — Il y a un plein bissac de mangeaille accroché à la selle de Bucéphale. Bon appétit et bonne chance !
    C’était bien d’elle cette façon presque brutale de prendre congé.
     
    *
     
    — À combien sommes-nous d’Ashby, maintenant ?
    — Une demi-lieue sans doute, messire Guillaume.
    — Quel dommage que par ce déluge nous ne puissions chevaucher à travers champs et

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