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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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remuant son bâton, laissait filtrer sa consternation et sa colère :
    — Je t’avais bien dit qu’elle nous ferait défaut !
    — Mon oncle !… Mon oncle !… Votre courroux est sans objet. Tancrède doit nous fournir un cheval, son cheval : elle viendra… Vous connaissez sa volonté, le poids qu’elle donne à ses paroles…
    Un moment, quoi qu’il eût dit, Ogier éprouva une sensation nouvelle, faite de solitude, d’anxiété, de crainte des ténèbres qui semblait resurgir de son enfance prime. Il décida :
    — Nous attendrons encore… Mon oncle, vous prendrez mon roncin ; vous, Barbeyrac, celui de Shirton : ce sont les meilleurs. Jack et moi monterons le sommier si ma cousine se joint à nous. Si sa fuite est différée, tu prendras, Jack, son cheval.
    — Pourquoi pas toi ?
    — Parce que tu es plus lourd que moi et que tu auras un cheval frais. Le sommier ne souffrira pas de me porter…
    Ils attendirent, muets, en s’interrogeant parfois du regard. Guillaume et Barbeyrac s’étaient assis. Ogier s’accroupit pour examiner leurs chevilles. Protégées jour et nuit par les cuirs de ses brogues, celles du vétéran n’avaient point trop souffert. Par contre, celles de Barbeyrac étaient serties de croûtes suintantes.
    — Les démons !
    — Voilà, messire Argouges, ce qu’il en coûte de perdre une bataille… Et c’est pourquoi je prie Dieu qu’il nous aide cette nuit !
    — À ton aise, Barbeyrac… Ce soir, je n’ai d’espoir qu’en notre volonté.
    En raison de l’obscurité de plus en plus opaque à mesure que les lueurs des campements s’éteignaient, les festoyants et les ivrognes hurlaient plus fort. Quelque chose brilla au sommet du donjon : un garde faisait sa ronde. Tous quatre avaient vu osciller sa lanterne, mais aucun n’osa se livrer à un commentaire. Une singulière répugnance pour échanger ne fût-ce que deux mots, les empêchait d’avouer leur impatience et leur angoisse. Des nuages pareils à de grands gerfauts gris traversaient maintenant le ciel.
    Il y eut un bruit de sabots sous les arbres.
    — C’est elle…
    Elle s’était vêtue de sombre et coiffée d’un chaperon noir. Elle menait un cheval blanc, paisible, par son frein.
    — Cousine…
    Abandonnant son Bucéphale à Barbeyrac ébaubi, Tancrède s’approcha de Guillaume, tout à coup chancelant, et qui tenait toujours, sans doute, en suspicion cette fille singulière.
    — Père…
    Ainsi, elle n’osait l’appeler autrement ! Comme ce simple mot rehaussait son attrait !
    — Père, le temps nous presse. Vous connaissez mon mépris des effusions…
    Elle semblait dépossédée de toute force, de tout orgueil, de toute froideur. Et lui qui n’avait jamais su l’apprivoiser, quelque effort qu’il eût entrepris pour cela, demeurait coi tant elle lui paraissait différente.
    — Je connais ce mépris, murmura-t-il enfin. Il m’est advenu de t’en louer sans te le dire.
    Aux approches du péril, tout ce qu’il y avait de sensible et d’humain chez ces deux êtres se raccrochait à cette chose impondérable et rassurante : la parenté. Ogier ne pouvait voir le regard de Tancrède, mais son visage lui paraissait figé. Quoi qu’il en fut, il se refusait à croire qu’elle se jouait des bonnes dispositions de son « père » et que celui-ci avait momentanément refoulé sa rancune. Après la rigueur de la lutte qu’ils avaient soutenue l’un contre l’autre à propos d’un mariage absurde, la qualité de cette rencontre, au bout de deux années de séparation, le comblait d’aise et l’émouvait autant qu’elle semblait émouvoir son oncle et sa cousine.
    — Je n’ai pas d’autre choix que de me joindre à vous, mais à Sandwich, pas ce soir, dit Tancrède tout à coup tournée vers Shirton et Barbeyrac.
    — Pourquoi, cousine ?
    — Le roi, cet après-midi, m’a entretenue de son désir… ou plutôt de sa volonté de me faire reine si Jeanne de Kent n’apparaît point. Tu comprends, cousin, que ma cuidançon [219] est grande, d’autant plus que son chambellan est venu, ensuite, me proposer de changer de chambre.
    — Qu’as-tu fait ? demanda Guillaume sans colère.
    — Je me suis confondue en bonnes paroles. On prétend, çà et là, que Jeanne sera présente ; que, redoutant la passion du roi à son égard, elle n’arrivera qu’au tout dernier moment, entourée de quatre ou cinq chambrières et de moult hommes d’armes, tous prêts à

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