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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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mains de Guillaume tremblaient, maigres et noueuses comme des sarments. Une sueur abondante mouillait son front, ses joues. Par crainte de chanceler, sans doute, il avait hésité à se mettre debout. « Va-t-il tomber quand il lâchera mes épaules ? » craignit Ogier en reculant d’un pas. Derrière son oncle, Étienne de Barbeyrac restait accroupi, frottant ses chevilles endommagées par les anneaux de fer. Il se leva enfin. C’était un homme trapu, de trente ans, pas plus, brun, chevelu comme un lion, la face blême, austère ; l’œil petit sous le sourcil large et fourni.
    — Les gardes ? chuchota-t-il.
    — Je les ai buqués [218] .
    — Morts ?
    — Non. Ce bâton est ma seule arme… L’un s’était endormi, l’autre rêvait, appuyé sur sa guisarme… Hâtons-nous.
    Ogier précéda son oncle et son compagnon.
    — Autant vous le dire maintenant : je suis recherché… On m’a dénoncé.
    — Tancrède ?
    — Vous déraisonnez, mon oncle. Non seulement, elle doit nous aider, mais elle nous rejoindra soit cette nuit, soit à Sandwich.
    Il n’y eut plus un mot. Les deux hommes suivaient, inquiets et prudents ; le reste était sans importance. Devant et à senestre, la multitude ripaillait et gobelottait. Les cris, les chants mêlés en ondes étourdissantes fluaient sur la campagne. Lors des accalmies, on entendait bruire et tinter du métal : les fèvres et les écuyers apprêtaient des boucliers et des armures. Il advenait qu’un chant volât de bouche en bouche et s’achevât en clameur.
    — Est-ce loin ? demanda Guillaume.
    Ogier s’arrêta et se retourna. Son oncle lui parut un peu pâle et, sous le coup de l’émoi, chancelant. Dans l’ombre, il pouvait reconnaître ses yeux clairs, sa bouche gonflée, impérieuse, pleine d’une haleine irrégulière, mais profonde ; son grand nez qui semblait avoir été aplati par le nasal de fer. Barbeyrac attendait, observant à l’entour les prairies argentées par un rayon de lune et, au-dessus des tentes informes, la longue bannière caligineuse animée aux souffles du vent, émanation des feux qui se mouraient, innombrables, et dont les brasillements semblaient des prunelles de bêtes fauves.
    — Une demi-lieue, mon oncle. Ensuite, vous aurez un cheval.
    — N’aie crainte : nous tiendrons. Déjà l’air est meilleur.
    Les pestilences ne les incommodaient plus, mais Guillaume tremblait encore. Les mouvements de la multitude invisible et lointaine, les convulsions, les huées, les chansons et les cris dus à des buveries forcenées, tout ce charivari de gens libres et heureux ébranlait son esprit accoutumé au silence et son corps amaigri par d’affligeantes mangeailles, des diètes et des macérations involontaires. Les yeux dilatés afin de mieux surprendre, sur le visage de son neveu, une vérité ou un mensonge dont la nature le tourmentait, il demanda :
    — Crois-tu qu’ elle est vraiment passée de notre côté ?
    Il n’osait prononcer le nom de sa puînée. Sa détestation pouvait dissimuler un amour blessé, nullement un amour mort.
    — Il se peut que vous la voyiez. Elle doit nous amener son cheval afin que nous en ayons un chacun.
    — Prête-moi ton bâton, mon neveu.
    Ainsi pourvu d’un soutien qu’il n’utilisait guère, Guillaume repartit d’un pas si pesant qu’on eût pu le croire lesté, comme autrefois, de ses jambières de fer.
    Ils marchèrent, heureux de ne croiser personne. Passant tout près des étals des plumassières et des bouchers, Ogier sentit son cœur se serrer : « Nous avons fui ces bonnes gens comme des ingrats ! » Toute proche, au creux de son lit de terre, Griselda dormait dans une posture absurde.
    Le château apparut, pesamment ramassé sur sa motte, incrustant dans le ciel ses merlons noirs ou blêmes.
    — Contournons-le de loin et nous serons rendus.
    Shirton les attendait devant les chevaux sellés.
    Ogier, qui n’en comptait que trois, refusa de s’inquiéter.
    — Tout s’est bien passé, compère, à ce que je vois.
    — Trop bien, Jack. Les gardes ont sûrement crié à la rescousse, mais avec ce vacarme, nous n’en avons rien su.
    — Tous les vainqueurs de l’archerie célèbrent leur victoire… J’ignorerai leurs noms et me console en me disant que le meilleur, c’est moi !… Vous êtes là, messires, et c’est ce qui importe.
    Shirton s’inclina sans déférence excessive. Barbeyrac lui rendit son salut cependant que Guillaume,

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