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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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quêté, requêté, et qui, le souffle court, flaire un nouveau danger. Tournant la tête, il interrogea Barbeyrac comme s’il craignait que son neveu ne défendît Tancrède. Les dents qui lui restaient luisaient dans sa bouche ouverte sur des grognements, qu’il s’efforçait de contenir.
    — Qu’en dis-tu, Étienne ? dit-il en renonçant à son escabeau.
    — Rien, compère, sinon que j’entrevois nos hommes.
    Ils contournaient le champ. Entre les basses branches et les têtes des spectateurs, on voyait osciller leurs heaumes et leurs cimiers dont les lambrequins flottaient sur leurs épaules et leur dos. Le premier, au tabard gironné de sable et d’argent, arborait sur son tortil blanc et noir [272] un demi-bélier aux cornes argentées, ceint d’un bouquet de fougères, le cou chargé de coquilles dorées ; le second exhibait un lynx couronné d’or tenant entre les griffes de sa patte dextre levée, une croix tréflée, d’or également. Le dernier avait son heaume exhaussé de quatre plumes de cygne noir. Ce devait être Renaud de Cobham.
    Ils étaient venus jusqu’au seuil de la lice l’un derrière l’autre ; ils y pénétrèrent de front, immobiles sur leurs chevaux parés de houssements superbes. Le public noble les ovationna tout autant que le commun venait de le faire, tandis que dans l’allée formée par les barrières, les juges, les écuyers, les vieux chevaliers, les moines sautillaient pour les mieux voir au-dessus des chaperons, des chapeaux de fer et des hautes coiffes des dernières attardées qui s’embourbaient sans crainte, au bras de leur époux, et dont l’impétuosité provoquait des « Ah ! » et des « Oh ! » accordés selon l’amorce ou la finition des glissades.
    — Leurs armures sont belles.
    — On les abîmera.
    — Ils se préparent à faire un tour de lice.
    — Nous leur ferons des tours de cochon !
    — Ils ont choisi de gros roncins. Les nôtres, à côté, paraissent maigres.
    — Leurs lourds chevaux s’enfonceront dans l’herbe ; les nôtres seront plus vifs et plus ardents.
    Barbeyrac ne cessait de trouver des répliques aux commentaires de Guillaume. Ogier se taisait, observant sa cousine et la trouvant parfaite sur le fond de tapisserie qui, derrière elle, dissimulait la rudesse des charpentes. Il en était trop éloigné pour examiner son visage, et ce qu’il supputait de son état d’esprit, c’était qu’elle s’ennuyait tout en affectant ce port de princesse dont sa beauté se trouvait rehaussée. Alors que la plupart des femmes du premier rang, appuyées ou accoudées au garde-corps agrémenté de drap pourpre, jabotaient ou rêvaient, insoucieuses de l’apparition des appelants, Tancrède restait figée entre Jeanne de Kent et Odile de Winslow, apparemment sourde aux bruits et comme aveugle. Parfois, à l’extrémité de leur banc, Éthelinde aux aguets penchait sa tête pâle. Élisabeth avait disparu.
    — Qui est Dartford ?
    Guillaume avait cessé de regarder sa fille. Ogier abandonna son perchoir :
    — Sans doute le chevalier au lynx… Mais voyez : elle se lève et paraît furibonde !
    Tancrède, debout, semblait victime d’une émotion terrible. Une indignation imprévue la traversait tandis qu’elle faisait tenir dans son regard une haine, un mépris sans équivoque envers, justement, le chevalier au lynx, qui venait de relever sa ventaille.
    — C’est bien Dartford !
    Des rires s’élevaient tout autour de Tancrède. La dérision, d’un coup, suppléait aux usages. Celles qui échappaient à la contagion souriaient avec une indulgence affectée. Mais le roi se leva. Il fallait que l’offense commise envers la Française fut montée à un haut diapason, et que tous les hommes de la tribune qu’il occupait l’eussent sincèrement ou hypocritement réprouvée, pour qu’il se fut dressé, comme outragé lui aussi. Après un moment d’indécision lors duquel un silence anxieux écrasa la sédition, il s’inclina vers Tancrède, l’invita, d’un geste, à se rasseoir, puis applaudit son homme lige.
    — Pourquoi tout ce tribouil [273]  ? interrogea Guillaume.
    — Je ne sais, dit Wilf, ébahi lui aussi. Nous en saurons peut-être la raison quand Lionel de Dartford passera devant nous.
    — Tu prendras Dartford, hein, Guillaume, puisqu’il a outragé ta…
    Si Ogier ne l’avait heurté de son coude, l’imprudent Barbeyrac eût dit : « ta fille ». Wilf dont l’âpre regard glissait

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