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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de fer emplumé de pennes de paon. Parfois, elle levait une main pour un salut plein de grâce.
    — Beauté du diable, peut-être, dit Barbeyrac.
    — Ou diable de beauté, fit Ogier, rêveur.
    Il songeait plus particulièrement à Tancrède qui, elle aussi, suscitait la curiosité. Tous savaient qu’elle était de France, alliée, certes, mais française, de sorte que par déférence envers leurs femmes, les hommes ravalaient leur admiration. Quant au tribunal des dames, il dissimulait sa sentence, ignorant que son silence hostile constituait un hommage absolu aux attraits de cette étrangère. Nul doute qu’on lui prêtait, pour qu’elle eût été distinguée par le roi, des prodigalités d’une seule nature.
    Une troisième élue chevauchait à distance. Ogier lui adressa un fugace regard. C’était pourtant Odile de Winslow.
    — Elles passent maintenant devant les clercs et les prélats…
    Sans doute en chuchotant que ces femmes étaient la triple réincarnation de la Pandêmos, surnom d’Aphrodite, patronne des courtisanes, les évêques, crosse branlante, les bénirent assez froidement, mais Édouard était proche : il battit des mains.
    Aussitôt, des préposées à l’accueil jetèrent au-dessus des têtes couronnées des poignées de fleurs irréelles composées de pétales de parchemin ou de duvets assemblés en toupillons peints de couleurs vives. Jean d’Offord, bras croisés, frileusement couvé par deux édiles pansus, d’aspect miséricordieux, leva les yeux au ciel pour le prendre à témoin de ces incongruités : une reine éphémère dont un roi libidineux et véritable voulait faire sa victime ; une fille de France, donc une fille perdue – et pourquoi pas ? une fille follieuse – souveraines d’une des plus anciennes fêtes d’armes du royaume d’Angleterre : Ashby-de-la-Zouche.
    — La plus belle… dit Guillaume, les sourcils tellement froncés qu’il en louchait.
    Était-ce l’expression d’une évidence ? Une question posée dans un ultime accès d’incrédulité, d’ébahissement, de fureur, et qui réclamait un démenti ou une confirmation ?
    — C’est ce que je me dis, continua le vieillard.
    La présence de Wilf, attentif à toute chose, interdisait le moindre commentaire en faveur de Tancrède. Au reste, même en l’absence du Goddon, le caractère revêche et impétueux de Guillaume eût réfuté, sans doute, toute onction compatissante et lénitive.
    Jeanne de Kent sauta souplement à terre. Il y eut autour d’elle un bouillonnement de têtes colorées, des balancements de fers de vouges et d’épieux, des cris, des applaudissements. Sitôt qu’elle apparut, lentement exhaussée par l’escalier de l’échafaud des dames, le peuple tout entier exprima son allégresse.
    — La frainte [271]  ! Ils gueuleront moins fort, dit Barbeyrac, quand nous meshaignerons leurs champions.
    La belle Jeanne étendit ses bras en avant, comme pour étreindre toute cette foule en liesse. Le vacarme s’accrut. Il s’interrompit lorsque ses bras retombèrent.
    — Elle règne déjà, ricana Barbeyrac.
    Puis il se retourna, aperçut son cheval, sauta de son escabeau.
    — Si le roi les a choisies, dit-il, et si elles sont là…
    Ogier toussa pour qu’il se tût, mais Barbeyrac continua sans malice :
    — Le roi aussi, chez nous, s’offre des privautés.
    Sans doute eût-il conservé sa réserve s’il avait vu le visage tendu, exsangue, de Guillaume, mais il restait obstinément cloué au sol, caressant la ganache de son cheval et murmurant de temps en temps des mots doux pour lui inspirer confiance.
    —  Elle règne déjà, elle aussi, dit Guillaume. Regardez…
    S’appuyant sur les épaules du roi qui s’était avancé pour lui tenir le pied, puis les hanches – ce qu’interdisaient les convenances –, Tancrède posait sur le montoir que deux rustauds venaient de placer devant elle, la pointe d’un soulier, puis l’autre. Svelte, souple et souriante, exhaussée comme une figure de pierre – mais ô combien vivante –, elle aplatit, du bout de ses doigts gantés, les plis rompus d’un manteau de velours ciselé, rouge vif, et gravit l’escalier de l’échafaud, sa main dans la haute dextre du suzerain, suscitant sur son passage, après que le roi l’eut quittée pour regagner sa place, des remous trop bruyants pour être en sa faveur.
    Immobile, Guillaume haletait comme un vieux sanglier de sa forêt périgourdine que la meute a

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