Le jour des reines
cria :
— Ho !
Il ajouta, gêné sans doute d’interrompre un combat qui enfin prenait tournure :
— Messires, vous avez fourni vos dix coups !
Les haches tombèrent.
Les épées brillèrent hors du fourreau.
Ainsi armé, Cobham se sentait plus à l’aise : il attaqua par un taillant à la gorgière. Ogier, qui l’avait pressenti, le refoula. Tintement. Note suraiguë des aciers aheurtés dont l’unisson se brisa lorsque vint le second coup, quasiment identique, sauf qu’Ogier l’avait donné des deux mains pour atteindre l’épaule adverse.
Cobham chancela. Sans son épaulière de fer, son bras eût été tranché. Il fournit vivement une réponse : à deux mains cette fois. Mal assujetti au sol, il fut comme emporté par la violence de sa riposte : sa lame ne fit que fendre du vide.
Dix coups, c’était trop peu, même s’il suffisait d’un seul, bien apprêté, pour mourir. Ogier fournit le suivant avec une force enivrée par la certitude de toucher derechef l’adversaire. Confiance ébranla la cubitière dextre, et rejaillit. Cobham répliqua dans un bondissement de chien qu’on détache. Sa poitrine de fer pivota ; il ne faucha que du vent.
Alors, ce fut à qui feindrait de porter un coup et se rétracterait pour attendre une occasion propice. Ogier se persuadait qu’il avait tout son temps et que chaque bond en arrière le clouait au sol plus fermement que Cobham. Il observait le heaume et les mains sur l’épée avec la conviction superbe, exaltante, qu’il vaincrait l’Anglais. Plus Cobham le menaçait, plus il paraissait indécis quant à la forme et l’opportunité de son coup de tranchant ou d’estoc. Il semblait que ce malandrin eût perdu son agilité, sa vélocité, mais nullement cette jouissance du meurtre qui l’avait animé à Sangatte. À travers ses attitudes changeantes à chaque pas et à des signes qui eussent échappé à sa perspicacité s’il ne les avait, lui aussi, éprouvés, Ogier prévoyait les gestes ébauchés dans l’esprit de Cobham : le heaume qui se relevait un tantinet afin de mieux cerner, par la « vue », l’adversaire ; le buste qui se rejetait en arrière pour accroître la force d’un fendant ; les jambes qui s’écartaient pour que ce coup fût efficace.
Le capitaine anglais grommelait sous son fer. Par intervalles, Ogier croisait son regard, et chaque fois, ces deux flammèches, au bord du heaume, allumaient et réchauffaient sa vigilance. D’âcres odeurs montaient de l’herbe piétinée. Elles se mêlaient à celles de son souffle, de sa peau suante, de son haleine liquéfiée sur les parois du bassinet.
La foule murmurait, trouvant que toutes ces postures allusives qui n’engendraient aucune atteinte au corps, desservaient la renommée de Cobham sans accroître l’audace de son antagoniste. Des cris de haine éclatèrent, des sifflets, des huées. L’Anglais eut le tort d’y céder : Ogier vit l’épée honnie s’abattre en direction de son crâne ; il se déporta tout en remontant Confiance au-dessus de lui, tourna d’un quart sur lui-même et frappa.
Cette fois, il pouvait exulter : il avait rompu, sans d’ailleurs le vouloir, la courroie qui liait l’épaulière gauche de Cobham à sa cuirasse, de sorte que le bras de fer tout entier ne tenait plus à l’armure. L’ensemble ayant brusquement descendu, l’Anglais, s’il avait la faculté de balancer son bras, ne pouvait le plier, sa cubitière, plus basse que son coude, empêchant ce mouvement [299] .
Tandis qu’il contraignait Cobham à reculer, Ogier concevait l’état de sa fureur sans même tenter d’imaginer l’aspect de son visage. D’un coup, il venait d’inverser le souvenir de Sangatte. Ce n’était plus lui qui reculait, mais Cobham ; ce n’était plus lui qui se savait condamné, mais Cobham ; ce n’était plus lui qui pestait contre la male chance, mais Cobham. À Sangatte, lui, Argouges, s’était trouvé brusquement seul ; à Ashby, Cobham entendait les cris de ses amis penchés le long de la palissade de joute. Et ils criaient si fort, en anglais et français, que par crainte qu’ils pussent entraîner la foule, Russell Chalk intervint :
— Messires ! Messires !… Le silence est de rigueur. Faites-lui respect !
Toutes les angoisses, tous les émois qui avaient assailli Ogier à Sangatte, se recomposaient en lui. À mesure que le bras de Cobham, ô combien plus pesant maintenant, lui paraissait non seulement
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