Le jour des reines
éloigné resta muet ; les capitaines protestèrent. Russell Chalk les interpella :
— Holà, messires !… Il y a suffisamment de juges à l’entour pour avoir levé leur verge juste quand je disais ho ! Si vous ne savez pas vous taire, et qui que vous soyez – eh oui, messire Offrey ! – je galope jusqu’au roi et le prie de faire intervenir les sergents !
— Il n’accédera pas à votre requête !
Ogier avait pu se relever seul ; à Cobham, il avait fallu un juge et un guisarmier. Tandis que remontant sa ventaille, le défendant marchait vers ses amis, l’appelant, toujours soutenu, chancelait vers sa tente.
— Messire Offrey ! cria le maréchal de lice, et vous, messires, je vous prie de quitter ces lieux où vous êtes entrés indûment !
— Tu me le paieras, cousin !
Barbeyrac qui marchait à la rencontre d’Ogier, dit avec un sourire :
— Les voilà qui se querellent !… Oh ! mais tu saignes.
— Petitement. Il n’a fait que m’aiguillonner.
— C’est l’aisselle senestre, heureusement, dit Guillaume en s’approchant. Te sens-tu quiet ?
— Oui. Cependant, quand il m’a touché, j’ai cru être en purette [303] comme à Sangatte. C’est ce qui m’a revigoré, car en cette herbe boueuse, il semblait que je m’enlisais.
— Tu dois courir vingt lances, dit Guillaume.
— Oubliez-vous les leçons que j’ai reçues naguère ? J’ai l’intention d’entrée de bouter Cobham hors de selle et de telle façon qu’il soit à ma merci.
— Belle intention, dit Barbeyrac. Cependant, il est hargneux et habile. Tu ne réussiras pas ton boutis aussi aisément, peut-être, que tu le crois. Mais ce que je peux dire, c’est que tu lui as donné la caquesangue [304] !
Ogier leva les yeux au ciel. Il n’y trouva pas Dieu, mais Tom. Le balbuzard majestueux y planait. Il leva les mains et les rabattit plusieurs fois contre ses cuissots de fer. En tournoyant et graillant, le rapace vint se poser sur son épaule. Là, il jeta des coups d’œil à la ronde, frotta ses ailes et se becqueta la gorge. Comme ses serres glissaient sur l’épaulière, il se jucha sur la tête du garçon : aussitôt la foule ébahie hurla, persuadée d’assister à une connivence diabolique.
— Tom, dit Ogier en offrant à l’oiseau son poignet. Tu vas me faire passer pour sorcier et tu mets ta vie en péril ! Retourne auprès de Jack.
L’oiseau battit des ailes et s’agriffa au gantelet. Remuant sa tête aux larges yeux dont la pupille semblait taillée dans du jais, enchâssée dans l’or limpide de l’iris, le balbuzard dévisagea cet ami duquel il ne comprenait rien. Ni sa rupture avec Shirton ni son éloignement auprès de ces inconnus en compagnie desquels il semblait à l’aise. Ogier le caressa, il se laissa faire, fïentant même sur la garde du gantelet. Alors, sans un regard, il prit son vol en direction de l’étang, à grands battements rageurs, comme s’il avait hâte, soit de pêcher, soit de rejoindre Shirton.
— Voilà un bel oiseau !… Il devrait sommer ton bassinet ! dit Guillaume.
Ils marchaient vers le moreau qui, les voyant approcher, remuait sa queue, paisible. Il semblait obéissant et vigoureux. Ils vérifièrent son harnois et Guillaume serra d’un cran la ventrière sans que le cheval tentât de se gonfler. Barbeyrac tint l’étrier. Ogier se mit en selle et prit les rênes, insoucieux de ses gantelets boueux.
— Quelle joie si tu peux l’occire. Frappe fort, mon neveu, et qu’un seul coup suffise !
Ogier eût pu répondre qu’il ne lui en avait fallu qu’un seul pour exécuter Guy de Passac, à Chauvigny.
— Trouvez-moi une bonne lance ! Un fer qui creuserait un trou dans du granit !
— Elles se ressemblent toutes.
— Allons donc, Guillaume, grognonna Barbeyrac. Choisissons la meilleure. Qu’Ogier soit bien afusellé [305] .
Il rejoignit le vétéran et l’aida dans sa recherche. Il riait d’une confiance qui n’enchantait que lui-même. Ogier, voyant passer Wilf, l’appela. Le sergent fit le sourd et s’éloigna en hâte. Un guisarmier, tout proche, s’informa :
— Que voulez-vous messire ?
— Breton, pas vrai ? Je reconnais l’accent.
— Oui, messire… Au service du jeune Jean IV de Montfort.
— Passe-moi cet écu si cela te plaît.
Ogier reçut l’écu et remercia d’un geste. Il s’arma soigneusement du bouclier qu’il laissa pendre contre son flanc, par sa guige, tout en
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