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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ravie :
    — Non seulement belle, mais forte. Serais-je un homme qu’après vous en avoir louée, je vous convoiterais sans trêve !
    Ogier vit sa geôlière se détourner cependant qu’à deux mains elle comprimait sa poitrine. Il dévisagea sa cousine. Quelle puissante beauté que cette créature, et comme il comprenait qu’elle pût tout asservir et certainement tout corrompre !
    — La mer se gonfle un peu. Crains-tu les tempêtes ?
    — Non, Tancrède. J’en souhaite une en ce moment.
    Le soleil embrasait de ses feux L’Édouarde. Il semblait que les vagues cuisaient à son contact, et se dévêtaient de leur mousseline. Les mouettes glissaient dans le vent, indéfiniment criardes, et sans savoir pourquoi, Ogier pensa aux corbeaux de Crécy. Leur nuage ténébreux avait jailli des bois chenus et des bosquets juste avant la bataille. Il y avait vu un funèbre présage. Toutes ces plumes blanches, au-dessus de lui maintenant, annonçaient peut-être de bonnes choses.
    La nef anglaise, vaillamment, creusait sa voie. Ses voiles se gonflaient comme des seins énormes sous une chemise armoriée. L’onde vaste, éperonnée, se boursouflait, résistait, vacillait, s’écroulait sur ses flancs dans une ondulation vaste, grésillante. Et le regard de Tancrède suivait avec passion ces vallonnements d’eau foisonnante.
    — Voilà un beau lit où l’on se pâmerait toute nue… Pas vrai, Odile ?
    — Oh !
    — N’êtes-vous pas fïère de votre corps ?
    — Si, mais…
    — Des draps tièdes, toujours renouvelés… Et sur le sable chaud, dormir, rêver, jouir avec sous sa nuque, ses épaules, ses reins, ses nasches [29] , de grands coussins de goémon frais… Tenez, j’en ai les lèvres mouillées !
    Mais des hommes crièrent, interrompant Tancrède. Des bras se tendirent. Un liséré grisâtre apparut sous le ciel.
    — Beau cousin, c’est l’Angleterre.
    Odile regardait obstinément la mer. Se voyait-elle nue, balancée dans cette eau profonde ? Le soleil qui semblait vaguer de crête en crête, changeait les flots en une vaste prairie de béryl vert sillonnée de chemins d’améthyste. Odile avait-elle, avant ce jour, pensé à sa nudité comme elle y pensait maintenant ?
    Ogier ne sentait plus ses douleurs. Le vent qui lui lançait son haleine au visage était anglais. Bienfaisant ennemi !… Où serait-il demain à ce moment du jour ? Odile assurerait-elle encore sa protection ? Tancrède leur aurait-elle fait ses adieux ? Il le fallait  : elle assemblait dans sa personne tant de force et de séduction qu’il souhaita que sa gardienne vécût hors de l’ascendant de sa cousine afin qu’elle n’en devînt point la féale. Apparemment bonne et saine, Odile méritait mieux que les amours pernicieuses où Tancrède trouvait ses délices.
    — Je tenterai de te revoir, cousin.
    — Tu ferais mieux, si tu en as pouvoir, d’essayer de revoir Guillaume !
    S’il avait dit : « Ton père », il l’eût contrariée. Qu’avait-il à prendre des gants avec elle ? N’était-elle pas heureuse quand elle parvenait à chagriner quelqu’un ? Si peu qu’elle eût été moquée, Odile semblait souffrir.
    — Es-tu à l’aise, cousine, sur la Grande Île ?
    — Bien sûr ! Quelqu’un que j’ai connu à Bordeaux m’y attend.
    — Vas-tu y demeurer ?
    — Tu connais mon goût pour les aventures. Quand j’ai, de la dernière, savouré le nectar et recraché le fiel, j’abandonne les rênes à la Providence…
    L’homme qui portait un bassinet sous son bras repassa et sourit une nouvelle fois à Tancrède.
    — Est-ce lui ?
    —  Lui ?… C’est Robert Wygan, maître de l’Édouard qui, si tu l’ignores, appartient au prince de Galles… Il a d’ailleurs la charge d’une autre nef : l’Édouard de la Tour…
    —  Édouard !… Toujours Édouard !
    — Je conçois ton courroux, mais il est ton vainqueur !
    Mieux valait interrompre cet entretien. Ogier toucha la main d’Odile :
    — Voulez-vous aller quérir ces écuyers qui m’ont amené sur le pont ? Il me faut m’allonger pour reprendre des forces.
    Il surprit le regard triomphant de Tancrède. Il signifiait : « Enfin, seuls, nous pourrons paroler sans ambages ! » Elle se méprenait. Ils s’en étaient assez dit. De plus, Odile avait fait un geste : les deux Brooks accouraient, toujours aussi maussades.
    — Redescendez messire Ogier dans sa chambre.
    Tancrède eut une moue de dédain.

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