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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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signe de jalousie envers lui, Ogier. D’une autre qu’elle, il se fut senti désarçonné ni plus ni moins qu’Odile, mais avec Tancrède, rien ne l’ébahissait. Sans façon, ses yeux sondant ceux de la jeune Anglaise, elle venait de passer si aisément de l’insolence à la douceur qu’il était incapable de définir ses sentiments et, si Odile semblait lui plaire, les limites de sa sincérité. Elle prit cette voix un peu rauque et soupirante qu’il n’avait point oubliée :
    — Vous êtes belle, Odile… On devrait vous aimer.
    Ce compliment aisé, sans malice apparente, atteignit la pucelle en plein cœur. Qu’un homme le lui eût décerné, elle s’en fut réjouie, bien que sans doute elle en eût l’habitude ; qu’une femme l’eût congratulée de cette façon tout à la fois abrupte et suave la touchait presque autant qu’un geste affectionné. Mais Tancrède n’avait cure des conséquences de ses louanges ou de ses dépréciations : elle était aussi changeante que ces girouettes dont certains prud’hommes paraient le faîte de leur donjon [28] . Si sur ce cousin auquel sans doute elle avait peu pensé depuis deux ans, elle venait d’acquérir un léger avantage dans la considération qu’Odile leur portait à l’un et à l’autre, elle ne sut ou ne voulut le conserver : au désir de flatter une jouvencelle qui parfois, sans doute, s’interrogeait sur ses capacités de séduction, succéda un singulier besoin de l’ignorer.
    — Je vais devoir te quitter, beau cousin…
    Questionné du regard par Odile ébahie, Ogier ne sut comment la guérir de sa stupeur et de sa confusion. Avec un enjouement tout aussi feint que son indifférence envers la jeune garde-malade, Tancrède demanda :
    — Qu’éprouves-tu d’être là maintenant ?
    Il ne répondit pas, mais il eût pu lui dire : « Un immense désenchantement, une sombre pitié envers moi-même… De la dérision et même de la peur… à moins que ce ne soit de la désespérance. Je ne puis me satisfaire d’avoir survécu à une piètre bataille alors que tant d’autres guerriers aussi hardis et méritants que moi s’y sont fait occire. » Sans doute, grâce à la présence providentielle de cette cousine au caractère particulier, ne ressentait-il plus les affres d’une solitude d’autant plus terrible que, pour en affronter les inconvénients, il se trouvait dans un état de faiblesse à lui seul angoissant. L’avenir, cependant, lui paraissait lugubre – avec ou sans Tancrède.
    — Parle… Qu’éprouves-tu ?… Te fais-tu des reproches ?
    — J’éprouve du regret d’être ce que je suis. Conçois-tu cela, cousine ?
    En répondant ainsi l’avait-il satisfaite ? Droite, insensible au vent qui déployait sa robe, elle était magnifique ainsi qu’une oriflamme. Qui aimait-elle présentement ? Qui allait-elle rejoindre à Londres ou ailleurs ? C’étaient là des questions oiseuses : elle était libre, à l’inverse de lui. Quelles mains, quelles lèvres, quels regards contournaient son corps ? Peut-être, s’ils avaient été seuls ne fut-ce qu’un moment, se serait-elle épanchée avec cette crudité dont il s’était souventes fois merveillé.
    — Veux-tu voir la mer un peu mieux ? Nous te soutiendrons… N’est-ce pas, Odile ?
    Déjà, elle en était aux privautés. Déjà, elle lançait à cette jeune proie une œillade d’une éloquence tellement appuyée que celle-ci en rougissait sans pour autant clore ses paupières. Les mœurs de la Cour d’Angleterre avaient en France une réputation détestable. Odile, si elle hantait Westmouster ou Windesore, devait y avoir presque tout vu et entendu. Quoi qu’il en fut, cette fille de France alliée de son pays la saisissait dans la complète acception du verbe. Tandis qu’elle se penchait, sa gorgerette s’ouvrit ; Tancrède eut une espèce de soupir : on eût dit qu’elle découvrait deux joyaux sans pareils.
    — Debout, cousin… Tu vois : nous sommes aussi fortes que les deux gars qui t’ont porté… Tu te soutiens, c’est bien… Tu n’es pas si atteint que tu le fais accroire !
    — J’ai mal et n’en puis plus… J’ai trop parlé, bougé…
    — Ne gémis pas, on nous regarde… Avance encore !
    Voilà, ils avaient atteint la pavesade. Il pouvait tout à la fois s’y maintenir et s’y pencher. Tancrède se reculait un peu pour enserrer Odile dans son regard, puis la libérer en disant, souriante et

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