Le jour des reines

Les Anglais ne sont point des malandrins.
    — Pas tous quand je vous vois… Êtes-vous seule à faire cette traversée ?
    — Ma chambrière me compagne… Une damoiselle comme moi est rarement en liberté… Maude doit fleureter quelque part sur le pont.
    Il n’avait que faire de cette précision. D’ailleurs, la migraine, à présent, dévorait sa cervelle. Bientôt, il serait incapable de la moindre attention. Il souhaita perdre connaissance. La fatigue le reprenait et le bercement de cette coque brune qui les emportait, Odile et lui, vers la Grande Île, lui devenait insupportable.
    — Il y a quelques femmes, à la proue de L’Édouarde. Je ne sais rien d’elles… Bientôt, moult autres viendront en visite à Calais… Notre sire Édouard veut peupler la cité d’Anglais.
    Ogier ferma ses paupières. Le mal continua de lui marteler le fond du crâne avec autant de vigueur.
    — Dites-moi, je vous prie, damoiselle Odile, ce qu’il est advenu de mon roi et de son ost…
    Il s’aperçut qu’il tremblait et qu’une sueur froide poissait son front, sa nuque, ses mains sans doute, car Odile retirait la sienne. Elle sourit, de petits feux dorés parurent dans ses prunelles : le plaisir ou l’orgueil les avait allumés.
    — Comment saurais-je tout, messire ?… Je sais qu’on a moult parlementé. Les nôtres étaient le comte de Derby, messire Gauthier de Masny, messire Regnaud de Cobham et mon oncle Northampton. Il y avait aussi le marquis de Juliers et Barthélémy de Burghersh, chambellan de notre sire Édouard… Je ne puis vous dire qui composait votre ambassaderie… J’ai ouï-parler du duc de Bourbon, de Geoffroi de Charny…
    — Ce maugréeux qui ne vaut pas un pet de cheval !
    — Plaît-il ?
    — Poursuivez, je vous prie. Dire que je croyais que cette tour serait une petite prise annonçant une grande bataille [35]  !
    — Il y avait aussi Jean de Hainaut… Les Franklins ont parlé longtemps, longtemps, et plusieurs jours… Des cardinaux s’en sont mêlés tandis qu’aux créneaux de leur cité, moult mal heureux criaient : «  Qu’on en finisse ! » … Alors, bêtement selon mon oncle, le 2 août à l’aube, votre roi a fait lever son camp, brûler tentes, harnois et machines de guerre… Il a disparu ainsi que son armée…
    — Et tous ces pauvres gens qui mouraient de faim et que nous voulions délivrer ?
    — Leur chef, Jean de Vienne, a demandé à parlementer. Mon oncle et Gauthier de Masny, Regnault de Cobham et Thomas de Holland se sont approchés des murailles… Dès le départ de votre roi, la cité s’est rendue… Notre sire bien-aimé a retenu vingt-deux Calaisiens en otages… On a distribué de la nourriture et hommes, femmes, enfants l’ont avalée voracement, de sorte que moult d’entre eux en moururent… Le roi a fait vider la ville, mais des bourgeois ont tenu à y demeurer avec une espèce de chef, messire Eustache de Saint-Pierre, grandement dévoué à notre souverain… Bientôt, des Anglais viendront emplir les maisons vides.
    — Et cela vous réjouit ?
    La force et la méchanceté de la question déconcertèrent Odile. Elle pâlit et parut bien loin de sa primesautière assurance. Une anxiété l’envahissait, semblait-il. De quelle espèce ?
    — Vous me haïssez, n’est-ce pas, d’être ce que je suis ?
    Il se récria. Comment eût-il pu éprouver de l’aversion pour elle ? Elle était belle, jeune, vierge sans doute. Des rêves impétueux et tendres devaient envahir ses sommeils. Le destin, si souvent vitupéré, lui avait fourni, pour une traversée qui l’humiliait surtout dans son honneur de chevalier, une compagne agréable. Il pouvait même se laisser aller à une confidence :
    — J’ai un ami, parmi vos chevaliers… Alors, je ne vois pas pourquoi je vous haïrais !
    — Qui est-il ?
    — Un géant.
    — Je ne connais qu’un géant, messire. Il se nomme Hugh Calveley.
    — C’est lui… Je lui ai sauvé la vie… Il m’a rendu la pareille… Savez-vous où il est ?
    — Il était au combat de la Roche-Derrien… Mon oncle en a parlé… Peut-être chemine-t-il vers Calais.
    — Revient-il souvent en Angleterre ?
    — Je ne saurais vous répondre, messire Ogier. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il est du Cheshire, tout comme Robert Knolles, et qu’il a des terres et sans doute son châtelet en un lieu giboyeux qui s’appelle Bunbury…
    — Knolles me connaît aussi, damoiselle. Je