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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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revoyait ? La maternité, plutôt que la maturité, devait avoir façonné définitivement cette nature inconstante. Ils eussent pu vivre bellement si elle avait voulu qu’il en fût ainsi.
    Ah ! bon sang, il n’allait tout de même pas regretter d’avoir recouvré la mémoire !
    — Guillaume ! soupira avec excès Tancrède. Mon soi-disant père !… Tu sais bien qu’il nous déteste après ce que nous avons fait !… Oublies-tu ce qui s’est passé ?
    Pour dissiper toute équivoque, Ogier crut pertinent de répondre à Odile.
    — Je m’en suis allé. Je l’avais prévenu depuis quelques semaines que je voulais revoir mon pays, ma famille… Tu as guerpi, toi, cousine, car il te voulait marier à un homme détestable.
    — Garins de Linars !
    — Guillaume ignore que nous sommes partis séparément. Je voudrais qu’il le sache. Briatexte m’a dit qu’il était devenu comme fou, méconnaissable. Il s’est rendu à Auberoche. Il y cherchait la mort, on le fit prisonnier.
    — Il a toujours été félonneux.
    — Il t’aimait… Plus que ta sœur.
    — Claresme est ma demi-sœur.
    —  Demi-sœur ou pas, elle t’affectionnait.
    Ogier avait baissé la tête. Saletés de larmes ! Elles montaient du fin fond de son être. Il n’eût pu dire au juste pourquoi ses yeux s’en étaient emplis. Souvent, il s’était attendri sur le sort de Guillaume. Il l’avait senti seul, menacé d’un trépas inique et indigne. Même s’il avait trahi par nécessité son affection et sa confiance, il en conservait du remords.
    — Maudit vent ! dit-il en écrasant les gouttes importunes.
    Son geste sec réveilla la douleur de son omoplate gauche. Allons, bon ! S’il avait recouvré ses impulsions, il ignorait comment les modérer. Odile de Winslow avait vu sa grimace ; sa main effleura l’épaule douloureuse, puis ses doigts fins la tapotèrent doucement. Ce réconfort parut mécontenter Tancrède.
    — Et Roxelane ? demanda-t-il pour faire diversion. L’as-tu toujours, cousine ?
    Elle fut surprise, et même indignée, qu’il se fut informé de sa jument.
    — Elle est dans un grand champ, à Bordeaux. Elle pouline…
    Elle en paraissait écœurée. Tout ce qui concernait l’enfantement lui donnait la nausée. Pourtant, lors du siège de Rechignac par Robert Knolles et ses démons, quand il avait, sur ses instances, ouvert le ventre d’une morte – Lucie – pour en extraire un nonnat [25] , elle était non seulement présente : elle avait apprécié son geste.
    — Où l’emmenez-vous ? demanda-t-elle à la jeune Anglaise.
    — À Londres, en l’hôtel de Gauthier de Masny.
    Un silence les enveloppa, vivement englouti par les craquements de la nef, les claquements des voiles et des bannières. Tancrède eut un sourire où la moquerie le disputait à la commisération :
    — À Londres pour commencer ton otagerie, cousin, mais quand tu auras repris des forces, ils t’emmèneront dans les terres, de façon que si tu guerpis, ils te rejoignent sans peine… Leurs meutes sont dressées pour ces pourchas… Avant que de songer à regagner Gratot, entraîne-toi à la course à pied… si tu le peux, bien sûr !
    Gratot !… Les vieilles murailles devaient prendre, présentement, les couleurs du miel ; les douves verdoyaient tant les arbres riverains y plongeaient et dissolvaient leur feuillage. Plutôt que de siffler dans des drisses tendues comme des cordes d’arc, le vent chuintait et chatouillait les frondaisons… Là-haut, dans son tonneau, le gabier chantait.
    — … et munis-toi d’une boîte de poivre… Les chiens qui l’auront naqué [26] perdront ainsi ta trace.
    — Ne lui donnez point de mauvais conseils !
    Odile s’indignait, Tancrède souriait sans méchanceté. Le plaisir d’Ogier rapetissa d’autant plus promptement qu’il pressentit que jamais ni l’une ni l’autre ne lui proposeraient leur aide.
    — Tu parais mélancolieux, cousin. Comment t’es-tu laissé mettre dans cet état ? Tu étais vaillant et aduré aux armes… Guillaume et Blanquefort avaient fait de toi un preux… Comment ?
    La question redoublée désempara Ogier. Depuis le soir de la tour de Sangatte, quelque chose s’était achevé dans sa vie. Sans que sa résurrection et sa longue perte de mémoire en fussent cause, il se sentait désormais différent de l’homme et du chevalier qu’il était avant et pendant cette inutile boucherie. Quel serait son sort ? Le roi Philippe

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