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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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doute qu’il m’apprécie !
    Ogier fût tenté de préciser les circonstances lors desquelles il avait connu ces deux hommes, mais ses forces s’amenuisaient ; il renonça.
    — Pourquoi étiez-vous dans cette ville en guerre ?
    — Mon oncle est cousin de notre sire Édouard… Ma mère vit parfois à la Cour… La reine Philippa tenait à ce qu’elle fut présente à ses couches. Elle a donné le jour à une belle enfant : Marguerite de Calais [36] … Allons, reposez-vous… Je ne quitterai pas votre chevet…
    — Où allons-nous ?
    — Nous toucherons terre à Sandwich… avant la vesprée, sans doute.
    — Nul ne m’y attend…
    — Messire de Masny m’a remis un pli pour quelqu’un de ses amis : un drapier chez lequel je vous ferai conduire.
    — Mais vous ?
    — Ma chambrière et moi passerons la nuit chez ce drapier. Je sais qu’il a deux solars ou, si vous préférez, deux chambres au premier étage.
    — Ensuite ?
    — À défaut de vous mener à Londres en litière, on vous y conduira en chariot.
    Odile rit. Et pourtant, elle promenait sur ce corps allongé tout près d’elle un regard d’une tranquillité sans faille. À travers ses pupilles immenses et son front soudain plissé, ses pensées, ses sentiments, son caractère ne se laissaient point deviner. Ogier cessa de la dévisager : des œillères de plomb occultaient ses regards. Son soupir se mêla à celui de la pucelle, mais sans doute les raisons qui l’y avaient incité n’appartenaient pas à la même espèce.

IV
    La tête enfouie dans ses mains, Ogier devina que l’Édouarde contournait un musoir puis, toutes voiles ferlées et carguées, se laissait glisser vers un quai silencieux, peut-être interdit à la foule. Lacérant les cris des membres de l’équipage, il perçut le choc et la tension des amarres et le double plongeon du mouillage dans une eau morte, à peine clapotante malgré la percée des ancres. Quelques couinements traversèrent le plancher de la chambre : les rats assemblés dans le ventre de la nef s’émouvaient de cette immobilité bruyante.
    Il y eut alors une pause, et derechef les cris et sifflements des manœuvres recommencèrent.
    « Où sont Odile et Tancrède ? M’ont-elles abandonné ? »
    À travers le huvelot cerclé de cuivre, Ogier pouvait voir les grosses pierres du môle sur lesquelles tremblaient des brouillards lumineux.
    « C’est vrai, il va faire nuit. Nous nous sommes arrêtés en pleine mer : des nefs de France étaient apparues au Ponant. »
    Alors que l’Édouarde prolongeait sa panne au-delà, sans doute, du nécessaire, les prières avaient repris dans le reclusoir de Charles de Blois. Et des sanglots bruyants s’y étaient mêlés : ceux, presque féminins, du prince captif.
    « Bon sang !… On se serait cru à vêpres ou complies ! »
    Redoutant de périr au cours d’un abordage, le duc gémissait : « Mon âme ! Mon âme ! » dans la crainte qu’une noyade empêchât celle-ci de monter au ciel.
    Ogier sourit à ce souvenir. Il méprisait désormais cet homme de mœurs efféminées dont la religiosité, tout alourdie de macérations, participait d’une infâme imposture. Et comme il l’entendait de nouveau geindre et prier, il tapa contre la cloison pour obtenir du silence.
    Renier Brooks entra, plus qu’obséquieux : servile. Tancrède l’avait dû sermonner.
    — Préparez-vous, messire. Nous sommes arrivés et j’en suis soulagé.
    — Souffrez-vous du mal de mer ?
    — Nullement, messire, mais les traversées sont pleines de dangers. Tenez : il y a juste une semaine, moult Anglais de la noblesse et du commun se sont embarqués pour Calais afin d’y visiter des gens de leur famille. Les dix vaisseaux qui les transportaient ont été assaillis par des nefs françaises. Cinq d’entre eux ont été coulés avec leurs passagers. Les cinq autres, où s’étaient rassemblés les femmes, les jouvencelles et les enfants, ont été pris et emmenés je ne sais où – sans doute à Boulogne. Tous les hommes, nautoniers et soudoyers ont été décollés, d’après les dires d’un survivant [37] … Je n’ai point peur de batailler sur terre, mais cette mer m’effraie, je l’avoue.
    L’Anglais s’en alla. Où se trouvait Odile ? Auprès de qui ? Et Tancrède ? Pensaient-elles à lui ? La damoiselle de Winslow avait-elle un fiancé ?
    Elle entra. Dans le jour verdâtre dispensé par la lanterne de la coursive, elle

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