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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’un geste sec chargé de dépit ou de jalousie.
    Sur ces entrefaites, quatre sergents à cheval apparurent, précédant un limonier au poil blanc attelé à un bérot. Cette charrette à deux roues, légère, avait ses flancs garnis de hèches [40] assez hautes. « Une geôle roulante », se dit Ogier cependant que deux hommes d’armes le hissaient dans la caisse et le déposaient, de biais, sur une jonchée de fourrage. Il reçut comme traversin une besace emplie de paille et, pour se garantir du froid, une courtepointe malpropre.
    — Essayez de dormir, lui recommanda sa gardienne en se juchant auprès du voiturier.
    —  It’s good ! fît l’homme dans un claquement de fouet.
    Après les oscillations de L’Édouarde, Ogier dut subir, sur son matelas d’herbe, le branle des pavés de Sandwich, tellement bossués et disjoints que le limonier trébuchait dans les brancards, inquiétant Odile dont la voix, par moments, adjurait le charretier :
    —  Slowly ! Allez doucement !… Voulez-vous que ses plaies se déferment ?
    — Plus j’aurai mal, plus ce huron sera content ! maugréa Ogier.
    Les sergents l’avaient étendu si en avant du plancher que sa tête reposait sous la banquette où Odile était assise. En se soulevant un peu, il apercevait à travers les barreaux des maisons d’une singulière disparité, agglutinées comme pour soutenir mutuellement leur décrépitude et, à leur base, l’animation d’une nuit d’été en son commencement. Ces vieilles rues vivaient, à l’inverse de celles de Calais. Des hommes en chantant quittaient une taverne ; des femmes et des enfants riaient devant des étals éclairés par d’innombrables lanternes. Et la pente devenait si rude que, malgré quelques cinglons sur sa croupe, le limonier n’avançait guère.
    La plupart des bâtiments étaient coiffés de chaume ; les plus riches, à encorbellement, devaient avoir un toit de schiste ou de toilettes. Au fur et à mesure de la grimpée, alors que tous les chevaux s’ébrouaient, Ogier, glissant un peu, distingua mieux, entre les colonnettes des ridelles, les chantiers et les navires assemblés dans une baie fortifiée. Une eau noire y dormait, miroitante. Des torches, des fanaux mêlaient leurs fleurs pourprées. Des guirlandes de linges flottaient aux fenêtres cuivrées de l’intérieur par des feux de chandelles. Parfois, débouchant sur la grand-rue, une venelle ténébreuse apparaissait, comme ouverte dans la cité par le tranchant de Durandal. Cela sentait le sel, la marée, le fumier, le graillon et la poissonnaille. Ici et là s’élevaient des pyramides de panières de cuir ou d’osier, de coffres et de futailles. Une tour apparut, percée de fenêtres larges et hautes. Les passants pouvaient y voir un plafond à caissons et les scintillements d’une grosse flambée.
    Soudain, des cris éclatèrent ; une foule qui s’était dissimulée dans l’ombre des porches et des ruelles venait d’apparaître, interdisant manifestement le passage à la charrette.
    — Qu’est-ce donc ? interrogea Odile.
    Elle s’était exprimée en français, sans doute pour que le prisonnier partageât son ébahissement. Le voiturier, perplexe, arrêta son cheval.
    — Cela, damoiselle, dit-il bien haut, ressemble à une meute de mécontents.
    — Tous sont armés… Des armes de rustiques…
    Ogier imagina aisément ces, gêneurs. Ils devaient être une trentaine. Leurs yeux étincelaient. Ceux qui ne voulaient vociférer : « À la mort ! À la mort ! » grondaient à la façon des chiens à la curée. Ils brandissaient des faux, des haches, des bédoils et peut-être des foènes, puisque la mer les faisait vivre. Il apparaissait comme inutile qu’il cherchât à voir ces gens-là. Avec leurs vêtements réduits à l’essentiel par la chaleur et la misère, ils avaient sûrement l’aspect d’un fragment de truanderie.
    — Ouvrez-nous la voie ! dit Odile aux sergents de l’escorte. Allons ! Tirez vos épées !
    Un cheval avança et les cris augmentèrent.
    —  À mort le Franklin !
    — Point d’otage à Sandwich !
    —  Bon sang ! s’exclama Ogier. Comment ont-ils su ?
    — Le temps, messire, dit Odile, que le chariot arrive sur le quai, ce maudit capitaine ou l’un de ses suppôts a fait prévenir ces manants !
    — Et c’est pour m’effrayer qu’ils parlent en français.
    — Ce sont des descendants de Normands. Oubliez-vous qu’il y a près de trois

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