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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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messire Argouges, sont de très vieille descendance. Ils ont servi Harold contre votre Guillaume. On les retrouve, depuis lors, dans notre Histoire, partout où il a fallu batailler… De Northampton, au nord, à Reading, au sud ; d’Oxford, à l’ouest, à Luton et même à Londres, à l’est, on dit que notre noblesse est aussi ancienne que l’Angleterre, notre fierté aussi élevée que les murs de ce castle, notre hardiesse et notre dévouement à la Couronne aussi solides qu’un granit… et nos ongles, lorsqu’on nous porte tort, aussi aiguisés que ceux du griffon.
    Ébahi par tant d’enflure, Ogier trouva la donzelle essoufflée plus terrible que gracieuse. Les personnages ombreux de la galerie l’avaient plongé dans un malaise auquel il n’avait pu, sur l’instant, trouver la moindre raison ; il la découvrait enfin : tous, même les femmes, sous l’impassibilité de leur visage, remuaient des sentiments vigoureux, laids ou farouches. Tous avaient le regard d’Odile : intense, impérieux, acéré comme une arme. Elle jouissait, assurément, de son pouvoir de séduction, et semblait accoutumée à ce que rien ne lui résistât. Elle détenait, de son existence rustique, une fermeté, une énergie peu compatibles avec sa féminité, mais compensées, sans doute, par des ouvrages appréciés des âmes rêveuses : la broderie, la tapisserie, le commerce plus ou moins assidu des livres – autant qu’il pût y en avoir entre ces murailles ténébreuses… Et l’amour ? Si bref qu’eût été son séjour à Calais, elle n’y avait pas manqué de chevaliers servants. De même qu’à Londres, qu’elle semblait bien connaître.
    — Messire Ogier, voyons !… Abandonnez cette mine funèbre… Vous n’êtes plus encagé dans un mauvais tombereau mais dans le hall de notre demeure !
    Quelque soin qu’elle prît à se montrer avenante – en jouant, toutefois, sur les mots, alors que son père, volontairement indifférent, ajustait ses habits devant la cheminé –, Ogier ne pouvait se défendre de la conviction lourde, urticante, d’être à la merci d’Odile après avoir eu l’espoir d’obtenir sa protection. Quel sot ! Des indices, pourtant, l’eussent dû éclairer. Elle n’avait guère montré de déception en apprenant que Margaret de Masny venait de déserter son hôtel. Sitôt son énergie recouvrée, elle avait exigé de quitter Londres en hâte. S’il avait souvent pensé qu’il n’était qu’une chose, un objet dont on prenait soin, il éprouvait ici, presque cruel, le sentiment d’être un butin de guerre soustrait à son légitime propriétaire. Et parce qu’elle semblait lire dans ses pensées, la pucelle exprima lentement son dilemme :
    — Si Gauthier de Masny vous réclame, je pourrai lui dire que vous vous êtes enfui… ou que vous êtes mort par infection de vos blessures.
    Il lui rendit son sourire sans trop de difficulté tout en scrutant ce visage divin auquel la satisfaction donnait un charme singulier : cet étincellement des prunelles sous le flux d’un désir inconnu, ce front superbe où quelques cheveux égaraient leurs hameçons noirs ; ce sourire tout à coup avivé par un mordillement des lèvres. Et puis cette obligeance à lui désigner la cathèdre :
    — Vous y serez bien mieux que sur un banc… Voulez-vous vous isoler ?
    — Non, damoiselle… Je mangerai d’abord si cela vous agrée…
    Le feu pétillait. Voyant partir les sergents, Ogier comprit qu’ils souperaient aux cuisines.
    On alluma des candélabres. Leurs fines gouttes d’or firent danser les ombres.
    — Mon père revient vers nous… Non, non, demeurez assis : il partagera ce banc, devant nous, avec mon ains-née sœur.
    Elle avait une sœur. Plus âgée de combien ?
    On s’animait autour d’eux. Des servantes glissaient des écuelles et des cuillers sur la table. Un pichet, des couteaux, deux hanaps pareils à des ciboires animèrent le plateau de leurs lueurs argentées. De lents souffles d’air chaud passaient ; et comme il revenait pour s’asseoir à la place prévue par Odile tout à coup rêveuse, le baron de Winslow demanda :
    — Fait-il aussi beau que chez nous au royaume de Philippe ?
    — Oui, Père. À Calais surtout… qui n’est plus sien.
    Sec, noueux, la peau tannée par le grand air, tonsuré autant qu’un clerc par l’âge et le camail de mailles ; les yeux bleus, pénétrants et presque juvéniles – en tout cas désaccordés

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