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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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avec sa vieillesse –, le nez pointu, qu’un heaume devait mettre à l’étroit, le baron ne dissimulait pas son aversion envers le prisonnier amené indûment par sa fille.
    — Nous avons eu chaud pareillement l’an passé quand nous sommes allés de la Hogue-Saint-Waast à Crécy… en faisant un détour par Paris… J’ai reçu à l’épaule, messire comment, déjà ?
    — Ogier d’Argouges…
    — J’ai reçu à l’épaule, en haut du Val-aux-Clercs, le seul carreau qui fut tiré sans doute par un de vos Génois… alors que je pissais !
    Ogier se plut à contrefaire la voix de ce baron rogue et impertinent :
    — J’ai reçu dans ma chair, messire, mon content de sagettes galloises. Si mes malheurs s’étaient arrêtés là, je n’eusse jamais eu le plaisir de connaître votre puînée.
    Il eût pu dire : «  de vous connaître  », mais il avait sciemment évincé ce bataillard imbu de sa personne. Comme Odile paraissait humble ! Elle voulut informer son père des raisons du retard de sa chambrière ; il n’en eut cure :
    — Qui s’y frotte s’y pique !… J’ai toujours pensé qu’au lieu de semer des lis sur sa bannière, Édouard III aurait dû y planter des chardons… des porcs-épics… des châtaignes dans leur habit… des oursins… Que sais-je encore !
    Le sire de Winslow – Arthur, précisa sa fille – trouvait une satisfaction légitime à montrer sa révérence envers son roi. Comme une grosse femme posait sur le plateau une miche de pain, il lui lança un regard de complicité d’une si parfaite éloquence qu’Ogier douta qu’il fut fidèle à son épouse. Odile, irritée, admonesta la domestique :
    — Je veux une toile, un drap sur cette table… Et même une longière [61] de notre côté ! Ce n’est pas parce que ma mère est absente qu’il faut négliger les convenances.
    — Mais il s’agit de toi et…
    — D’un vaincu ?… Je le sais, Père. D’un ennemi… Mais savez-vous que messire Ogier est le champion du roi Philippe ?
    Cette révélation fut sans effet. La grosse servante revint et prestement installa la nappe et la longière.
    Une jeune dame entra, vêtue d’une gonne de soie rose passé sur une épaisse chemise de lin si longue qu’elle la retroussait de ses mains réunies sur son ventre.
    — Demeurez assis, messire… Voilà ma sœur Éthelinde.
    C’était un nom des Flandres ou du Hainaut.
    Éthelinde était blonde – une blondeur nacrée qui ondoyait, en deux tresses effilochées par le sommeil, jusqu’à ses hanches. Sous ses cils longs et fournis, ses yeux avaient l’éclat des gorges de pigeons. Elle cilla des paupières, sachant sûrement qu’elle en rehaussait la brillance, tandis qu’Odile, d’une voix de feutre inhabituelle, faisait les présentations :
    — Messire Ogier d’Argouges… Je te raconterai sa méchante aventure.
    Éthelinde s’inclina puis enjamba le banc. Auprès de son père, immobile et compassé, elle était la simplicité même, à moins qu’il ne s’agît d’une affectation savamment maîtrisée. Vingt ans, pas davantage. Ses vêtements révélaient de belles formes, une maturité rosée comme les avant-bras charnus et duveteux qu’elle ne craignait point de montrer, à l’inverse des femmes de France. Ses lèvres, tout en souriant, semblaient vouloir toucher des friandises ou goûter à l’ambroisie. Sur le plateau drapé de lin, dans l’orbe dansant des chandelles, elle posa sa main nue, piquetée de quelques taches de son, et fit mouvoir des doigts longs et fermes. Ogier ne put interpréter le regard d’enfant perdue qu’elle adressait à sa sœur. Était-elle mariée ? En ce cas, son époux logeait-il à Calais ? Non, car elle s’y fût rendue avec Odile. Chevauchait-il parmi les bourreaux de Bretagne ?
    — Comme tu as tardé ! dit-elle à sa puînée.
    Après avoir toussé pour s’éclaircir la gorge, Arthur de Winslow s’enquit de la santé d’Édouard III. Il ne l’avait pas revu, dit-il, depuis son embarquement à Boulogne, quelques jours après la victoire de Crécy [62] .
    — Le roi se porte bien, grâce à Dieu, dit Odile. Sa femme a enfanté.
    Elle disait «  sa femme  » comme s’il se fût agi d’une manante. Dame Éthelinde en parut courroucée. Sa mère, leur mère, était-elle native du Hainaut comme la reine d’Angleterre ?
    — On dit que ses cris portaient à deux cents toises ! Moi, j’avais refusé d’être près de son

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