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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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guerre : aucun chevaucheur, aucun chevalier, personne n’était venu troubler les us du châtelain, de ses filles et de leur entourage. Haut et fier au mitan de l’immense forêt, le château paraissait un îlot escarpé, ceinturé de falaises inabordables.
    Odile tendit un doigt vers le faîte du donjon :
    — Je vous ai vu de là-haut piéter tout autour des murailles, lentement, puis vivement ; courir, et marcher encore, les bras mouvants pour reprendre haleine. Je vous ai même vu soulever cinq ou six fois de grosses pierres… Seriez-vous en mesure de tenir une épée ?
    — De la tenir, oui, damoiselle, mais non point de m’en servir avantageusement.
    Les yeux fauves, sous les longs cils qui semblaient s’y brûler, eurent un éclat fugace, révélateur d’une colère, à tout le moins d’une indignation :
    — Vous vous exercisez afin de la manier à votre aise !
    — C’est le devoir d’un homme de guerre…
    Il avait évité de dire : « un chevalier », de crainte qu’elle ne le prît pour un impertinent : à Winslow, il était encore moins que le palefrenier, John, un vieux grincheux qui tolérait sa présence.
    — Je vous ferai porter votre Confiance dans votre chambre… à condition que vous me fassiez serment de ne jamais l’empoigner contre nous.
    — Comment le pourrais-je ? Je vous dois d’être en vie… et à Winslow plutôt qu’à Londres. Or, je vous vois fort peu… Vous devez passer vos journées occupée à quelque grande tapisserie… Et votre sœur en fait autant… Votre père vous a enjoint de m’éviter !
    Odile parut, soudain, aussi dépourvue de mémoire que de bienveillance envers lui.
    — Mon père vous héberge à son corps défendant.
    — Ses mots et ses façons me l’ont prouvé dès mon arrivée, dit-il avec un sourire aiguisé d’ironie. Il vous tient rigueur de m’avoir conduit à Winslow… ce que vous avez fait à votre corps défendant !… Que de corps qui se défendent sans qu’aucun assaut, même doucereux, leur ait été donné !… N’ai-je pas raison, Odile ?
    Il lui advenait fréquemment de concevoir sa nudité, puis leurs nudités mêlées entre deux imaginaires visions de celle d’Éthelinde. Quelles occupations unissaient, en ces jours chauds, ces sœurs si différentes et si complémentaires ? Il éprouvait la soif de l’une ou de l’autre comme on a envie de vin ou de cervoise, d’hydromel ou de grenache. Il s’en fût délecté à longues et lentes gorgées.
    — Mon père vous déteste et il a ses raisons : vous êtes son ennemi, celui de feu son gendre… Il a vu trépasser moult hardis compagnons dans ces batailles au-delà de la mer !
    — Et moi !… Si vous saviez combien j’en ai perdu.
    Une passe d’armes s’engageait. Odile, décolorée, le nez pincé, le dévisageait de ses yeux sombres fermement sertis sous l’arc des cils tremblants. Aucun doute : elle cherchait le fer. Il rompit et, désignant Maude qui passait en hâte :
    — Elle m’évite aussi. Cependant, elle a fait un long voyage avec ma cousine… On l’a empêchée de me parler. Dès que je fais un pas pour échanger deux mots, elle fuit comme si j’avais la morille [69]  !
    — Mon père lui a interdit votre approche.
    — Si de me savoir là lui donne déplaisance, qu’attend-il pour m’autoriser à partir ? Richard me hait… John, son compère, m’exècre. Wingfield grimace et me tire la langue. D’autres soudoyers crachent sur mon passage… Lynda, votre impudique house-maid [70] , m’adresse à tout moment des regards meurtriers…
    Cette grosse femelle et ce maigre prud’homme… Odile savait-elle ? Certainement… Des images luxurieuses traversaient-elles parfois son esprit ? Mélanges d’intimités bouffies et sèches, molles et roides… Le bonheur d’aimer pouvait-il exister sous ces formes ? La lourde Lynda, Lynda la mafflue, la fessue se tordant sur la couche seigneuriale ; enroulant ses gros bras autour du torse sec du baron… Voyait-elle cela, Odile ?
    — Vous n’eussiez pas été en bien meilleure condition à Londres, chez Margaret de Masny.
    — Et vous, Odile, ne seriez-vous pas en meilleure condition ailleurs que dans cette île de hautes pierres ceinte de cette forêt où les regards se perdent et font naufrage ?
    La forme d’un sourire entrouvrit la petite bouche rose. Le cœur d’Ogier battit doublement : de tendresse et d’émoi. Comme cette conversation paraissait différente

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