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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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le moment hors d’atteinte, il était contraint d’imaginer sa mort. Jamais qui que ce fût, à Winslow, ne lui pardonnerait cette fuite. Jamais ce chemin menant à la forêt ne lui avait paru si long, si mauvaisement entretenu : de la rocaille, des graviers, des ornières. Que son cheval trébuchât et c’en serait fait d’un beau rêve.
    — Allons, compère !… Galope !
    Ne pas se retourner. Ne rien regarder d’autre que ces arbres maintenant tout proches et qui pouvaient devenir ses complices. Du froid des épaules aux reins… Plus vite, Noiraud !… D’autres te talonneraient. Pas moi, mais sauve-nous !
    Il manquait d’air. L’effroi, sans répit, rétrécissait sa gorge. Dévastait son torse… Ah ! ce fourneau dans sa poitrine… Un peu d’air… Des épreintes labouraient son ventre. Il allait… Non !
    — Hâte-toi, compère !
    Oh ! dans ce creux, tout proche, un tronc de hêtre couché !
    Pourvu que le cheval fît un bon saut !
    — Oui !
    Les arbres… Des cris, derrière… Devant la liberté.
    — Ils se rapprochent… Va ! Va ! Sois Pégase une fois !
    Il ne fallait pas qu’ils fussent rejoints !
    Le seuil de la forêt… Par Dieu ! tous ces feuillages semblaient l’attendre… Les attendre…
    — Enfin !
    Les grands arbres chevelus les accueillirent dans leur multitude.

VIII
    Un sentier duveté d’herbes brunes, jonchées d’une limaille d’or, serpentait sous la feuillée. Accoutumé aux chemins caillouteux ou pavés, le Noiraud s’y hâtait à longues foulées puissantes, étouffant le bruit de ses fers dans les terreaux et les mousses.
    Ogier se fiait à l’ardeur de ce providentiel allié. Parfois, de folles et pernicieuses branchettes jaillissaient d’un tronc, d’un fourré : le cheval aussitôt courbait son encolure, et lui, le fugitif, aplatissait son dos. S’ils ne pouvaient encore avoir de l’amitié, ils se trouvaient en parfaite accointance. Ils s’enfonçaient ainsi vers ils ne savaient quoi.
    Quand il eut galopé si longtemps que le spume lui vint à la bouche, Ogier mit son complice au pas, quitta la selle et marchant la bride à la main, écouta la respiration des feuilles. Rien ne venait troubler les ténèbres dorées.
    — Hé, compère… Ont-ils renoncé ?
    Cela l’eût étonné. Il tremblait d’un excès de sueur et de faim. Une lassitude le contournait des épaules aux reins aussi fermement qu’une corde : il avait perdu l’habitude des chevauchées, de sorte que cette évasion, si simple lors de ses méditations, commençait à lui paraître une gageure au-dessus de ses forces et de ses facultés. Où se trouvait le sud ? Où s’achevaient les arbres ? Le plaisir de la liberté recouvrée, amer, sublime, enivrant comme celui de rajeunir ou de renaître, se fragmentait sous un martellement d’inquiétudes dont, pourtant, il n’avait jamais minimisé l’ampleur. Il ignorait la distance parcourue, depuis l’aube, par le Noiraud. Il devait le ménager. Il lui semblait aussi véloce, obéissant et vigilant que Marchegai, mais il pouvait se méprendre. Il le fit s’arrêter, le trouva panard du devant, campé du derrière ; le courage qu’il lui prêtait suppléerait à ces imperfections. Un ruisseau eût fait leur joie. La forêt semblait aussi avaricieuse en eau qu’en baies et plantes comestibles.
    Le chemin sinua entre des pierrailles et des rochers tout d’abord gros comme des tortues et des boulets de bombardes, puis comme des animaux allongés : chiens, chevreuils, sangliers. Là, immobile, écoutant de lointains gargouillis, Ogier put deviner que les hommes de Winslow n’avaient pas renoncé à sa prise. À leur place, il en eût fait autant.
    Suivi par le cheval libre et confiant, il s’empêtra dans les éboulis, poussa du jarret à la recherche d’un passage parmi les roncières et les arbrisseaux chétifs, aux membres tors et toisons légères qui se riaient, à pleins chants d’oiseaux, de la rudesse des granits. Ignorant tout des lieux, il n’était point perdu, mais ce verbe, conjugué avec une signification différente, avait sur son esprit les mêmes conséquences. Il s’était égayé de son audace ; il s’était merveillé de se sentir prodigieusement libre, vivant de tout son corps et de toute son âme ; il commençait à enrager de trouver des limites à cette liberté.
    — Même pas un couteau ! marmonna-t-il.
    Il glissa sur un bossellement de pierres, effarouchant un lézard. Il

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