Le jour des reines
s’approcha et lui touchota les cheveux, une épaule.
« Il te faut t’esbigner : Lynda va descendre. »
Éthelinde s’éloignait, reprenait sa danse et ses battements de bras, puis revenait vers Odile. Immobile, souriante, cuirassée du mystère de ses desseins, la puînée s’abîma dans la contemplation de ce trésor vivant.
— Viens, ma sœur.
Éthelinde s’assit, s’allongea contre Odile, puis la saisit à pleins bras, plus possessivement que ne l’eût fait un homme.
Ogier se recula pour reprendre haleine.
Il devait s’éloigner ; il recolla un œil à la fente indiscrète. Une larme l’embua, s’accrocha à ses cils, roula. L’oreiller avait disparu. Éthelinde enjambait le corps de sa puînée, pressait ses seins contre les siens, se relevait un peu et se remuait pour touchoter leurs mamelons par petites secousses.
« Voir ça ! »
Un temps, il avait imaginé les jeux hardis et ardents de Tancrède et de Blanche de Passac auxquels parfois, il le savait, participait le mari de la dame. « Infect ! Écœurant ! Repoussant ! » s’était-il dit. Or, il était fasciné par tant de beauté insane. Il y avait une impureté magique dans ces dolentes accordailles, ces ventres doucement attouchés, ces doubles fruits nacrés à la lumière, vers lesquels Odile tendait son buste. Il décelait dans ces embrassements une volupté d’autant plus exaltante à saisir que les convenances interdisaient ces pratiques. Les feux assoupis du soleil toujours haut mais qui, maintenant, négligeait la fenêtre, assombrissaient suavement les contours et donnaient plus d’innocence à cette fête tendre où les souffles et les plaintes sourdes des deux sœurs se conjuguaient sous les va-et-vient contradictoires de leurs corps.
Il avait perçu la sombre splendeur de ces choses par Tancrède, le regard de Tancrède la nuit où elle s’était donnée à lui sans raison ni envie. Et tout ce qu’il avait imaginé se reconstituait, ce jour d’hui, comme pour lui rappeler la nostalgie d’une étreinte sans bonheur et presque sans satisfaction.
Il vit la tête d’Éthelinde glisser entre les tétons d’Odile dont un moment elle picora les pointes ; glisser encore, paresseuse, à dessein – et disparaître.
« Non ! » hurla-t-il en lui-même.
Plus rien, dans sa vision que le profil d’Odile, les yeux clos, la bouche tendue, balbutiante.
Couple indigne ! La croupe d’Éthelinde apparaissait, basculait. Elle allait appuyer sur la bouche d’Odile les lèvres charnues, blond-blanc, auxquelles il avait songé… C’était… C’était… comment dire ? une ardeur toute pareille à la leur qui dévorait ses entrailles !
Quelqu’un marcha au-dessus de lui. Il y eut peu après un couinement de paumelles : Lynda s’apprêtait à descendre.
« Si elle te débuche et devine que tu viens de les voir, elle et son Arthur, tu seras enfermé jusqu’à ce qu’on t’occise ! »
Le baron rappela sa servante ; elle revint dans la chambre. Ils rirent en se tâtonnant l’un l’autre et la house-maid poussait quelques « Ah ! Ah ! » de félicité comblée quand un cri retentit dans la cour :
— Lynda !
Ermyntrude semblait angoissée par un événement d’importance.
— Lynda !
Elle s’engagea sous le porche de la tour. Ogier l’entendit soupirer d’impatience et grommeler des mots rageurs.
« Si elle monte et me trouve, elle me dénoncera, bien que ce soit la seule à me faire des grâces ! »
Il ne pouvait entrer dans la chambre des filles : c’eût été commettre un sacrilège. La haine des deux louves découvertes dans leurs jeux eût été pire, sans doute, que celle de leur père. Mieux valait redescendre et croiser Ermyntrude.
La face rubiconde de la grosse commère blêmit dès qu’il apparut. Le clignement d’un de ses yeux bleu pâle, globuleux et humide, révéla, outre la surprise, une connivence gaillarde.
— Ah ! Ah ! fit-elle à mi-voix, elles n’ont pas besoin de vous.
Ermyntrude devait avoir fréquemment épié les deux sœurs pour tirer de ses aguets des plaisirs défraîchis et des regrets saumâtres. Elle expiait, sur son déclin, la présomption, la forfanterie et l’ardeur qu’elle avait montrées à l’âge d’Odile et d’Éthelinde.
— Partez… Je ne dirai rien.
Un regard vif, convoiteux, se posa sous le ceinturon d’Ogier :
— Vous devez avoir de gros besoins depuis le temps que vous jeûnez. Cette nuit, je vous
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