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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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trépassés tandis que les naseaux veloutés du Noiraud caressaient son front en sueur pour l’inciter sans doute à se lever.
    Il sautillait sur son pied valide pour enfoncer convenablement l’autre dans l’étrier quand une voix ricana dans son dos :
    — Allons, allons !… Je te sauve et tu veux t’enfuir sans même que nous ayons lié connaissance ?… Or çà, refuserais-tu de me congratuler pour t’avoir délivré de cette meute infecte ?
    Une fois juché en selle, Ogier se détourna :
    — Pardonne-moi, l’ami, de te considérer de haut : je me suis foulé la cheville. Sans cette male chance, ce bougre de Nigel ne m’aurait pas rejoint.
    — Je te crois. J’ai laissé aux autres le temps de s’approcher pour en occire le plus possible. Ils viennent rarement par ici et je te sais bon gré de les y avoir amenés.
    L’archer était grand, solide, brun – à en juger par sa courte barbe puisqu’un galeron [76] de velours vert le coiffait. Il était vêtu d’une brigantine couverte de toile grise déchirée – on en voyait briller les écailles de fer –, chaussé de daim des orteils jusqu’aux cuisses. Il maintenait sur son épaule, par la fourche de la corde et du bois, l’arc redouté de tous les guerriers de France : le long bow. Un carquois demi-plein remuait dans son dos.
    — Je ne croyais pas voir un jour un Franklin d’aussi près !
    — J’étais en captivité à Winslow.
    — Je sais. Je t’ai vu rôder sous bonne garde autour des murailles. J’ai quitté le château à la mort de Ringwood, le mari d’Éthelinde… Ils ont chassé les couples dont les enfants gênaient les regards de cette putain… car c’en est une, mais d’un genre particulier.
    — Tu ne m’apprends rien.
    Ogier se réjouit de cette entente immédiate, sans même s’émouvoir qu’Éthelinde en fut cause au fin fond d’une forêt dont les voûtes le recouvraient de nouveau. Des nielles ténébreuses semblaient fleurir dans l’herbe, la mousse, les feuilles roussies ; puis l’ombre devint plus vaste et comme plus palpable.
    — Tu n’irais pas loin avec cette cheville qui ne demande qu’à devenir aussi grosse que la hure du Robert… Viens : je t’emmène et te fais les honneurs de mon antre.
    — Soit. Je t’en sais bon gré.
    — Si cela peut te conforter, Français, je ne te prends pas pour un ennemi. Je n’ai guerroyé que contre les Escots. Entre deux présences à l’ost d’Édouard, j’étais le brenier de Winslow [77] . L’année où Ringwood, le mari d’Éthelinde, trépassa, le baron Arthur bouta hors des murs tous les couples ayant des garçons et des filles…
    — Parce que Éthelinde était bréhaigne et que la vue des enfants lui était désagréable.
    — Ce que tu ignores, c’est que par deux fois, elle fut grosse.
    — Ah ?
    — La lingère, Ermyntrude, n’avait plus chaque mois à laver de linge… Et sais-tu qui la fit avorter ?
    — Comment le saurai-je ? Je suis entré à Winslow à la fin d’août, nous sommes à la fin de septembre, et pendant toutes ces semaines, à de rares exceptions, nul ne m’a adressé la parole.
    L’archer ôta son arme de son épaule et la tint comme une gaule, horizontalement. Il allait d’un pas souple et véloce, guidant soigneusement le cheval confiant.
    — C’est Odile… Elle crevait d’angoisse de la savoir pleine !
    — Inutile de m’en dire davantage.
    — Dommage, tu saurais comme elle procéda… Si la belle Éthelinde avait eu son enfant, l’Odile, sa marraine, en aurait fait un ange.
    — Sauf si cet enfant-là avait été une fille… Une façon de se la réserver pour plus tard.
    L’Anglais s’arrêta pour offrir à Ogier un regard ébaubi et admiratif :
    — Voilà bien une chose à laquelle je n’avais pas pensé !
    Une moue de dédain remplaça son sourire tandis qu’il éloignait doucement les gestes tordus et discontinus des branches.
    — Les familles ont dû partir en plein hiver. Le baron, sa femme et les deux femelles les ont vues s’éloigner sans remords… Et pour se réjouir le cœur, Arthur décida d’une chasse.
    L’archer tendit l’oreille et contraignit le cheval à l’arrêt. « Aucun bruit », se dit Ogier. Mais soudain, devant eux, un renard déboula et s’enfuit, la quenouille de sa queue haut levée. Ils repartirent.
    — Une chasse !… J’avais certes relevé des fumées non loin du château, mais chasser en hiver quand on mange à sa

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