Le Journal D'Anne Frank
de vieux barbons
Qu’il faut gober tous leurs sermons
Comme on prend une amère potion ;
C’est pour garder la paix de la maison.
Toi-même tu ne l’aurais pas voulu,
Mais quand toujours on apprend et on lit,
On aurait bien du mal à découvrir l’ennui.
Mais voilà une autre question, pire tourment :
« Que vais-je mettre ? Mes vêtements
Sont trop petits. Je n ’ai plus de pantalon,
Mon chemisier est grand comme un napperon.
Et mes chaussures, comme elles me blessent,
Tout me torture, quelle tristesse. »
Oui, avec dix centimètres en plus,
Rien ne vous va, bien entendu.
Quant au passage sur les repas, Margot n’a pas pu le faire rimer et je le laisse entièrement de côté. Alors, iln’est pas beau, mon poème ? En outre, j’ai été très gâtée, on m’a donné de très jolies choses. Entre autres, un gros livre qui traite de mon sujet préféré, la mythologie de Hellas et de Rome. Je n’ai pas à me plaindre non plus de manquer de bonbons, tous ont puisé dans leurs dernières réserves. En tant que Benjamine de la maisonnée clandestine, j’ai été vraiment beaucoup plus fêtée qu’il ne me revenait normalement.
Bien à toi,
Anne
MARDI 15 JUIN 1943
Chère Kitty,
Il s’est passé une foule de choses, mais je pense le plus souvent que mon bavardage oiseux t’ennuie beaucoup et que tu es bien contente de ne pas recevoir trop de lettres. Je vais donc te rapporter les nouvelles en les résumant.
Monsieur Voskuyl n’a pas été opéré de l’estomac : quand il a été sur la table d’opération et qu’on lui a ouvert l’estomac, les médecins se sont aperçus qu’il avait un cancer incurable, déjà trop avancé pour qu’on puisse l’opérer. Ils se sont contentés de lui refermer l’estomac, de le garder trois semaines au lit et de lui donner une bonne nourriture avant de le renvoyer chez lui. Mais ils ont commis une sottise impardonnable, à savoir de dire exactement à ce pauvre homme ce qui l’attend. Il n’est plus en état de travailler, reste chez lui au milieu de ses huit enfants et rumine sa fin prochaine. Il me fait énormément pitié et je suis très triste que nous ne puissions pas nous montrer dans la rue, sinon j’irais certainement très souvent lui rendre visite, pour lui changer les idées. Pour nous, c’est une catastrophe que ce bon Voskuyl ne soit plus là pour nous tenir au courant de ce qui se passe dans l’entrepôt et des bruits qu’on y entend. Il était notre meilleure aide et notre meilleur soutien en matière de prudence, il nous manque beaucoup.
Le mois prochain, nous serons touchés à notre tour par la remise des postes de radio. Kleiman a chez lui, clandestinement, un poste « baby », dont nous hériterons en remplacement de notre gros Philips. C’est bien dommage de devoir livrer ce beau meuble, mais dans une maison où des gens se cachent, mieux vaut ne pas provoquer les autorités. Nous mettrons la petite radio en haut, naturellement. Là où il y a des juifs clandestins, et de l’argent clandestin, une radio clandestine est tout indiquée.
Tout le monde essaie de récupérer un vieux poste à donner à la place de sa « source de réconfort ». C’est tout à fait vrai, chaque fois que les nouvelles du dehors s’aggravent, la radio nous aide en nous répétant de sa voix miraculeuse que nous ne devons pas nous laisser abattre : « Tête haute, courage, d’autres temps viendront ! »
Bien à toi,
Anne
DIMANCHE 11 JUILLET 1943
Chère Kitty,
Pour revenir une fois de plus sur le thème de l’éducation, je te dirai que je me donne beaucoup de mal pour être serviable, aimable et gentille et faire en sorte que la pluie de réprimandes se transforme en un petit crachin. C’est fichtrement dur d’avoir une conduite exemplaire avec des gens qu’on ne peut pas voir en peinture, et quand le cœur n’y est pas. Mais je m’aperçois vraiment que je m’en tire mieux avec un peu d’hypocrisie au lieu de m’en tenir à ma vieille habitude, qui était de dire carrément mon opinion à chacun (bien que personne ne me demande jamais mon avis ou n’y attache de l’importance) et bien entendu, il m’arrive très souvent de sortir de mon rôle et de ne pas pouvoir contenir ma fureur devant certaines injustices, si bien que, quatre semaines durant, on clabaude sur la fille la plus insolente du monde. Tu ne me trouves pas à plaindre, par moments ? Heureusement
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