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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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mal persévérait.
Derrière le masque de paix sévère qu’il affichait, Jacob affrontait les
reproches de son fils.
    Après des semaines de stupeur où sa mère Rebecca avait
craint pour sa santé, Isaïe se réveillait dans les ruines de son existence.
    Depuis les premiers jours de son enfance, sa vie avait eu un
ordre et un espoir. Vingt ans durant, il n’avait pas été d’heure et d’année qui
s’écoulent sans les conforter. Jacob lui avait enseigné et mille fois répété
que la promesse dont il était la chair et l’accomplissement reposait sur
l’observation scrupuleuse de ses devoirs. Il devait connaître et tenir sa
place. Ainsi que chaque homme, il était un grain de l’univers, mais ce grain,
par sa pureté, témoignait du plaisir de Dieu de le voir en vie. L’effort était
grand mais à la hauteur de la récompense. Épouser Eva n’était pas seulement
remplir son rôle d’homme. Réaliser la promesse faite par son père à Isaac
Cohen, c’était prouver à tous les Juifs du monde que le Saint-béni-soit-Il les
tenait dans Sa paume. Qu’encore Il accordait cet amour particulier à ce peuple
avec lequel Il avait conclu l’Alliance.
    Et, à sa manière, Isaïe avait appris à aimer Eva, et même à
l’admirer, puisqu’elle était l’autre part de cette magnifique promesse.
    Et puisque ainsi tout était parfait, puisque tout advenait
selon l’ordre voulu par son père, pas un instant il n’avait observé le visage,
les gestes, les mouvements, le regard d’Eva avec un minimum d’acuité.
L’affection, le désir, la crainte, qui rôdent dans les pensées d’un garçon
bientôt près d’empoigner tout le mystère d’une femme destinée à être sa
compagne de vie ne l’avaient jamais effleuré.
    Aveuglé par la grandeur du rôle que lui avait offert son
père, Isaïe n’avait su deviner dans la froideur et la distance d’Eva autre
chose que la saine et sensible modestie qu’il imaginait convenir à sa future
épouse.
    Et soudain, comme si une substance empoisonnée avait dissous
chaque mot avec lequel Jacob avait peint la réalité et soutenu ses efforts pour
l’embellir encore, il ne demeurait devant Isaïe qu’un gouffre épouvantable.
L’horreur d’un néant empuanti par le mensonge de bonheur qu’il avait lu sur les
lèvres de son père bien-aimé.
    Un soir de neige, le quatrième ou cinquième jour de Chevat,
il gelait à pierre fendre. Le MaHaRaL venait de franchir le seuil du klaus
enveloppé dans son immense manteau. Nous venions derrière lui, Isaac, Jacob et
moi, ainsi que quelques autres. Nous fîmes une vingtaine de pas, les yeux rivés
sur le sol glissant qu’éclairaient mal nos lanternes. Une ombre se dressa
devant nous au milieu de la ruelle. Il y eut un cri. C’était Isaïe.
    En simple chemise, les cheveux fous et le regard brûlant de
fièvre. Un peu de salive séchait au pli de ses lèvres comme pour un cheval qui
aurait trop longtemps mâchonné son mors.
    Avant que le MaHaRaL eût le temps de faire un geste, il
hurla :
    — Vous m’avez menti ! Vous tous !
    Son index maigre pointa tour à tour la poitrine de son père,
d’Isaac, du MaHaRaL et même la mienne. Son index eût été une lance, il nous
aurait transpercés.
    — Vous tous, vous êtes des menteurs ! Vous
promettez et vous ne savez pas tenir !
    Sa voix était haute. On eût cru un enfant en révolte.
    Jacob se précipita.
    — Isaïe ! Isaïe, mon fils, calme-toi !
    — Non !
    Isaïe le repoussa avec la force des fous. Jacob chancela. Il
se serait affalé dans la neige si Isaac ne l’avait soutenu. Isaïe
vociféra :
    — Tu es le premier des menteurs, mon père. Tu as des
serpents sur les lèvres !
    Ses cris attiraient du monde. Des portes s’ouvraient, des
visages s’approchaient. Les lanternes s’accumulaient et nous éclairaient mieux.
    Le MaHaRaL s’avança. Face au corps trop mince et torturé
d’Isaïe, sa silhouette parut plus immense que jamais. Il tendit la main dans un
geste d’apaisement. Il prononça quelques mots d’une voix si basse que je ne les
saisis pas, mais je vis Isaïe lever le visage vers notre Maître. Il avait l’air
surpris par ce qu’il entendait.
    Un souffle de raison passa dans son regard. On aurait pu
penser qu’il allait se calmer.
    Mais non. Sa bouche se tordit et, cette fois, chacun dut
emporter avec lui les mots qu’il jetait à la face du MaHaRaL :
    — Vous non plus, vous ne tenez pas votre promesse. Vous
dites : Il faut

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