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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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progrès de son nouveau Palais des Étoiles.
    Mais il y eut d’autres nouvelles, plus sombres. Dans le
Nord, en pays de Flandre et d’Allemagne, les guerres entre luthériens et
catholiques avaient recommencé avec une violence sauvage. Et ainsi qu’il en
allait depuis des temps immémoriaux, le goût du sang et du carnage finissait
par prendre les Juifs comme cible. À Munsbourg, Coblence ou Bonn, les
survivants des massacres avaient été chassés des villes et des États. Des lois
avaient été dictées pour que les villes juives soient détruites et ne puissent
renaître.
    Chez nous, à Prague, et malgré la bonhomie de l’Empereur à
notre égard, la vieille peur, qui ne dormait jamais qu’à demi, revint dans les
cœurs. Elle courait dans les chuchotements à la sortie de la synagogue. Les uns
quêtaient les signes d’une bonne nouvelle, d’autres ressassaient les mauvaises.
    En ces jours d’incertitude, Isaac posa la main sur mon bras.
    — David, j’ai reçu une lettre…
    Il le dit dans un souffle, et si ces mots ne me confiaient
pas le contenu de cette lettre, ses yeux me le révélaient. D’un coup, il me
faut bien l’admettre, tous les efforts que j’avais accomplis pour oublier se
déchirèrent comme une soie trop fine. Le nom et même le visage d’Eva dansèrent
dans ma poitrine.
    Isaac le devina et approuva d’un signe.
    Il y eut du mouvement autour de nous. Sans cesser son
chuchotement, Isaac ajouta :
    — Allons à la maison.
    Je dus avoir un mouvement de recul, un refus dans le regard.
Isaac serra mon bras. Il y avait sur ses traits une tristesse, un appel que je
ne pouvais ignorer.
    Je retrouvai la petite pièce où, bien des années auparavant,
j’avais pour la première fois donné des leçons de mathématiques à Eva. En
montant l’escalier jusqu’à l’étage, je croisai Vögele. Je lus la même supplique
dans son regard. Je me préparai à ce qu’on allait me demander. Je le devinai.
Il ne fallait pas que j’accepte.
    Isaac tira de sous son manteau une lettre minutieusement
pliée et dont le cachet était brisé en petits morceaux. Je fus surpris de ne
pas reconnaître l’écriture d’Eva.
    Isaac sourit tristement.
    — Ce n’est pas elle qui a écrit. C’est lui, ce Bachrach
de Worms.
    Il posa la lettre sur la table et la poussa vers moi. Je lui
fis signe que je ne voulais pas la lire. Il ne la reprit pas, il la regarda et
dit :
    — Il écrit qu’ils sont époux et femme devant Dieu. Un
rabbi les a mariés il y a dix mois, dès leur arrivée à Worms. Il demande notre
pardon. Il est poli. Il dit tout ce qu’il faut dire.
    Isaac haussa les épaules comme si cela n’avait plus grande
importance. Puis il releva les yeux.
    — Ce qu’il ne dit pas, c’est la véritable raison de
cette lettre.
    Et comme il n’en parlait pas lui non plus, je fronçai le
sourcil et demandai dans un souffle :
    — Eva est malade ?
    Il n’eut pas le temps de me répondre. La porte dans mon dos
s’ouvrit, Vögele entra. Elle avait pleuré, mais son visage, où les rides
dessinaient la tristesse, était ferme.
    — J’en suis sûre. Je le sens là depuis Pessah !
    Elle se frappa la poitrine. Elle avait dû écouter derrière
la porte, n’en pouvant plus de contenir sa douleur.
    — Dès que j’ai commencé le grand nettoyage de la
maison, au lendemain de Pourim, c’est venu, reprit-elle sans tenir compte des
signes d’Isaac l’exhortant à s’apaiser. Juste un sentiment, une impression.
Comme si les poussières m’infestaient le ventre. D’abord, j’ai pensé qu’il n’y
avait rien de plus normal, après ce qu’il s’était passé. Mais plus je
continuais, plus les poussières m’empêchaient de respirer. Je n’ai pas osé en
parler à Isaac. J’en ai parlé avec ma mère. Elle m’a dit : « Moi
aussi, je respire la poussière de ta fille. Celle de sa souffrance. » On a
frotté nos maisons comme des folles. Quand tout a été propre, les parquets
cirés, les armoires rangées, les tapis battus, les vêtements nettoyés et la
cuisine sans plus un grain de vieux levain, j’ai commencé à faire des rêves.
J’ai vu mon Eva. Elle était belle, vraiment belle, mais elle parlait avec une
voix d’homme et elle prononçait des paroles épouvantables. Le rêve est revenu,
deux, trois fois. J’en ai parlé à ma mère. Elle m’a dit : « Ma
petite-fille se bat contre un dibbouq, et cela fait tant de bruit dans
l’univers que tu l’entends. »

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