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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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La foudre fût-elle tombée sur nos têtes, elle n’eût pas répandu un
effroi plus grand. Je ne puis me souvenir de ce jour sans voir des rues vides,
figées dans le silence, autant que si un deuil extraordinaire les avait
frappées Eva Cohen, fille d’Isaac et de Vögele, petite-fille du MaHaRaL, fuyant
la maison de son père, fuyant Prague, la Bohême, ses devoirs et son rôle.
Disparaissant avec un homme de quarante ans, un Juif, certes, riche mais
inconnu. Un homme de Worms qui ne pouvait être un homme de foi puisqu’il
s’était soumis à sa folie ou, qui sait, l’avait même encouragée.
    Lecteur, toi qui vis dans ce siècle d’aujourd’hui, il te
faut imaginer ce que représentait ce coup de tonnerre. Aujourd’hui, la fuite
d’Eva serait, au pire, le caprice d’une jeune femme et, plus sûrement,
l’affirmation d’une liberté que tu admirerais et soutiendrais. En cette
année 1598 de l’ère chrétienne, ce fut comme si s’entrouvrait la porte
hideuse du chaos.
    Disparue sans recevoir la bénédiction de son père et de son
grand-père, Eva brisait irrémédiablement la promesse qui liait son père et
Jacob Horowitz. Elle piétinait les lois et les affections. Elle humiliait
Isaïe, répandait les pleurs, la honte et la crainte sur sa famille.
    Sa famille qui était celle du MaHaRaL.
    Autant dire une femme plus morte que morte.
    Pendant quelques jours, il me sembla que chacun allait la
nuque ployée en ne songeant qu’à cela. Même si, en vérité, pendant des semaines
je n’entendis plus prononcer le nom d’Éva.
    Isaac se tint reclus dans sa maison. On ne le vit plus de
tout un mois. Pour Kippour, il ne se rendit à la synagogue qu’au cœur de la
nuit. Jacob et Isaïe, eux, s’y montrèrent avec ostentation. L’un et l’autre
plus sévères, plus pâles que jamais. Deux mannequins de chair raide fuyant les
bavardages et portant l’affront avec une dignité qui faisait baisser les yeux.
    J’entendis dire que Jacob avait forcé la porte d’Isaac et
qu’il en avait résulté une dispute épouvantable. Jacob en était venu à désigner
Éva par des noms que nul n’oserait répéter. Et comme Isaac ne pouvait se
résoudre à laisser insulter sa fille, quelle que fût sa faute, Vögele s’était
mise entre eux, avec des larmes et des cris pour qu’ils n’en viennent pas aux
mains.
    Une dispute que je ne peux raconter pour n’y avoir pas
assisté. Je me préservais bien de fréquenter la maison de Jacob. Je n’aurais pu
y apporter aucun réconfort. Et pour ce qui était de moi, chaque pièce, chaque
frôlement de vêtement et même les odeurs de la cuisine m’auraient rappelé trop
de choses qu’il me fallait bannir et que je ne pouvais confier qu’au baume de
la prière.
    Le MaHaRaL aussi se retira du regard public.
    Il fit savoir qu’il rédigeait un ouvrage depuis longtemps
remis : Ner Mistva , Le Flambeau du Commandement. C’était un
long commentaire sur le livre de Daniel et la fête de Hanoucca. Une œuvre qui
réclamait assez de concentration pour qu’il remette à plus tard les heures
hebdomadaires de débats qu’il accordait aux élèves de la yeshiva et à ses
visiteurs. Et ainsi, pendant des mois, on ne le vit se déplaçant que pour les
tâches tout à fait indispensables, allant à la synagogue et en revenant le
visage clos, les yeux fixés sur ce que nul autre que lui ne pouvait voir. Quant
à ses mots, on eût pu compter ceux qu’il prononçait sur les doigts des deux
mains.
     
    Au cœur de l’hiver, la douleur et même le souvenir de la
fuite d’Eva commencèrent enfin à s’estomper.
    Quelques semaines après Kippour, Isaac revint au klaus de
notre Maître. Nos regards se croisaient difficilement. Nous étions comme des
hommes dont les membres auraient été récemment brisés et qui ne pouvaient se
mouvoir qu’avec prudence.
    Jacob fit son retour, lui aussi. Après quelques hésitations,
il eut la grandeur de faire le premier pas du pardon. Un jour, dans le vestibule
de la petite synagogue jouxtant la yeshiva, nous vîmes soudain les deux vieux
amis face à face. Murmurant et gémissant. Puis en larmes dans les bras l’un de
l’autre.
    Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, le
MaHaRaL notre Maître vint tenir un enseignement. Il nous lut des pages de son Ner
Mistva. Le jour sur Prague était sombre, entre pluie et neige, et ce fut
comme si une bouffée de printemps nous arrivait.
    Hélas, sous l’apaisement de la surface, le

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