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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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moins en ma présence.
    Anne regarda son fils. Etait-il ridicule, était-il inquiétant ?
    Elle rougit d'une telle pensée. Etait-il roi seulement ? Elle le vit tout à coup comme il était. Joufflu et pourtant efflanqué, son pourpoint usé et trop petit, les chausses mal tirées, le cheveu sale, la chemise douteuse, une ride de tristesse traversant le front vers le nez, ce genre de rides qu'on n'a pas avant trente ans de soucis.
    Elle n'avait rien vu, personne ne lui avait rien dit. Le roi Louis s'était enlaidi et il n'avait pas dix ans. On e˚t dit un pantin, un de ces mauvais comédiens sur les tréteaux de province, un acteur nain, sans ‚ge à cause de sa taille, mais aigri. Les nains de la cour d'Espagne, ces bichons humains, étaient vêtus de velours et de soie. Louis était sale.
    On négligeait le Roi. Elle avait échoué ; le pouvoir, certes, était ailleurs, dans le portefeuille de Mazarin, et tous le savaient.
    - Mon Dieu, Louis...
    - quoi donc, ma mère ?
    - Rien. Il vous faut vous habiller en Roi.
    - Y aurait-il Conseil ? Nous ne sommes ni lundi ni jeudi.
    - Non non, ni audience aujourd'hui. M. Mazarin...
    - Roule carrosse suivi de trente gardes. M. Mazarin est un Sardanapale !
    - qui vous a dit cela ? La Cour encore ?
    - Paris. On le chante dans Paris...
    Il prit un air sournois et poursuivit, détournant les yeux et rougissant :
    - On le chante et vous chante aussi dans les mêmes couplets, qu'on cloue sur le Pont-Neuf et que je trouve sur ma courtepointe à mon lever. Comme si, la nuit, les diables se faisaient imprimeurs et voulaient m'informer.
    Ainsi, il savait. Mais par qui? La Porte? Impossible. Ses maîtres... Non, ils n'oseraient, à moins que de perdre l'or de leurs leçons et leur position dans la Cour. Son jeune ami Brienne ? Peut-
    être. Mais à vérifier. Le jeune Brienne était plus enfant encore que le Roi bien qu'ayant le même ‚ge ; il se préoccupait plutôt de ses soldats de bois, des jeux dans les jardins, à éclabousser les dames et les mousquetaires avec les jets du grand bassin, que des libelles contre le ministre. Et puis actuellement il souffrait de petite vérole et on l'avait éloigné du Roi.
    - Mon Dieu, laissa-t-elle échapper à voix haute, puis pensa : son frère...
    Louis la regardait, un mauvais sourire entre ses joues rebondies.
    Lit-il aussi dans mes pensées ? Je perds la tête, la gr‚ce de Dieu qui est sur un roi de France ne va pas jusqu'à l'omniscience.
    Son frère est perfide, jaloux, plein du plus mordant esprit et rôde dans cette Cour comme renard au poulailler. C'est Philippe qui lui rapporte ces horribles " mazarinades ". Philippe qui n'aurait jamais erré en ce palais dans cette tenue lamentable, toujours à l'aff˚t du dernier affiquet, de la dernière dentelle, du dernier ragot, de la dernière médisance, Philippe d'Anjou, le petit Monsieur, qu'elle voyait devenir pire que Monsieur Gaston frère de Louis XILI.
    - Louis, avez-vous vu votre frère ces temps-ci ?
    Le Roi rougit... Allons, tout est bien, il est encore enfant qui se trouble devant sa Maman.
    - Vous savez bien, Madame, que M. Mazarin et vous nous avez séparés puisqu'il ne sera jamais roi... à moins qu'il ne m'assassine !
    - Allons, Louis. Votre frère vous manque ? Je vais...
    - Personne ne me manque, même pas Papa. J'ai oublié son visage, à peine si je le reconnais en profil sur ces pièces qui, elles, me manquent et qui vont droit chez M. Mazarin. Il aime tellement, ce cher Italien, tous les portraits, qu'ils fussent en peinture ou frappés sur les écus ; moi, je n'ai que les liards. Mon père n'est que cuivre pour moi, mais d'or pour mon ministre.
    - Louis, M. de Mazarin est un grand ministre et votre parrain.
    - Alors pourquoi dans Paris le pend-on en effigie ?
    - On faisait de même pour le duc de Richelieu.
    - Non pas ! nul n'aurait osé. On le haÔssait mais on le craignait. On me craindra.
    - Non, Louis, vous êtes un Roi aimé.
    - Parce que je ne suis pas encore roi. D'o˘ ces vêtements.
    D'o˘ cet oubli, je peux traverser les corridors sans que nul ne songe à veiller o˘ je vais. Mon frère est un vrai prince, je suis un faux roi. Mes garçons d'honneur sont vêtus de velours noir doublé
    de petit gris, mais il s'agit d'uniformes. Les beaux soldats qui obéissent à un roi mendiant et qui ne peut même les récompenser quand il lui plairait. Ma mère, on me craindra. Je ferai en sorte.
    Je me moque d'être aimé. Louis XI, paraît-il, s'habillait en

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