Le lever du soleil
bour-
geois, mais la France tremblait devant ses pourpoints de gros draps. Je ne suis même pas en bourgeois, je ressemble à...
- Votre père aimait aussi ces vieuix habits pour menuiser, cuisiner, composer des chansons, se détendre l'esprit.
- Ma mère, vous venez de couper la arole au Roi !
- Excusez-moi, Louis.
- Faites de moi un roi... Vous aviez si bien commencé l'ou-vrage. Ma mère, ma mère, pourquoi m'avoir abandonné ? Pour quoi ? Pour qui ?
Elle rougit.
î Nos frères d'Angleterre sont encore plus mal lotis. On décapite le roi Charles, et sa femme et sa fille gèlent de froid au Louvre l'hiver, M. Mazarin ne leur sert même pas de petit bois. que mangent-ils ? Ah, Madame, on agit " au nom du Roi ", mais cette époque déteste les Rois. Et notre Parlement o˘ je dois paraître, o˘
vous me forcez à paraître, o˘ Dieu même veut que je paraisse, rem‚che son envie d'égaler Cromwell et Fairfax, ces tueurs de leur Roi ! Je me sens ignorant mais je sais l'histoire de mon temps.
Un grand vent de semonce se leva sur l'entourage du Roi. La Reine régente tempêta. Elle tança Villeroi, le gouverneur, le double de Mme de Sénecey décrétée gouvernante.
Les tailleurs s'affairèrent, et les coiffeurs, on doubla les gardes d'honneur, les enfants de compagnie, on changea le carrosse, Mazarin en commanda six, il choisit lui-même les chevaux, qu'il offrit de sa bourse. Sardanapale savait donner quand il s'agissait d'acheter. Le Roi sut recevoir dans un sourire. Ce fut une nou-veauté qui méritait d'être saluée. Le ministre l‚cha dans les jardins cerfs et sangliers, le Roi chassa comme un Bourbon. Il y prit le go˚t du sang et du parfum des entrailles fumantes des cerfs et des daims livrées à ses chiens mieux nourris que lui.
Le Roi portait beau les tenues de chasse, comme son père avant lui. Elles affinaient sa silhouette, le velours jouait des reflets du temps, les bottes luisaient, la cravache fouettait l'air ou les basses feuilles des arbres avec élégance. Il parut au Parlement ainsi, et le Parlement fut outré de le voir ainsi vêtu " dans son privé " alors que Louis parla à ces messieurs d'hermine aux ‚mes de fouine avec une jeune arrogance.
Le gamin se sentait ‚me à régner. Il se sentait premier de tous, au-dessus de tous, vénéré par tous. Il ignorait que tous étaient sur le point de se rebeller. Et ce même pas contre lui... contre ce qu'ils jugeaient bien plus important et importun que lui.
Il pensait que sa mère ne comprenait pas ce que lui, à dix ans, comprenait ! qui lui avait ainsi embastillé l'esprit ? L'indolence ou le ministre? Il questionna La Porte sur le roi Charles Ier d'Angleterre.
Le valet de chambre soupira.
- Pourquoi s'est-il rendu, pourquoi a-t-on osé le tuer ?
- Sire, je l'ignore, ce n'est pas encore dans les livres d'histoire...
- La Porte, vous êtes au courant de tout depuis bien des années et vos fréquentations à l'hôtel de Chevreuse quand le roi d'Angleterre avait ici envoyé M. de Buckingham, celui que le peuple appelle Bouquinquant et que ma mère aima, dit-on.
- Sire, vous risquez de mal prendre...
- Je ne prendrai rien si vous ne dites pas, sinon une colère.
- Sire, le Roi Charles est allé contre les lois coutumières d'Angleterre et s'est voulu absolu.
- Les Rois ne sont-ils pas absolus ?
- Pas tous, Votre Majesté. Ce qui est vérité sur les bords-ci de la Manche ne l'est pas de l'autre côté.
- Admettons. Ensuite ?
- Sire, la faiblesse...
- quelle faiblesse ?
- C'est la faiblesse qui a mis la tête du roi Charles sur le billot. Il aurait d˚ renvoyer son ministre que le peuple haÔssait, mais il avait la faiblesse de le traiter en favori. Les sentiments sont mauvais étudiants en politique.
- Donc quand tout va mal, on renvoie son ministre...
Sire, ce n'est pas ce que je voulais dire.
- La Porte, ce qui est dit est dit. Vous êtes courageux, n'est-ce pas, La Porte ?
- Je fus gens d'arme de Sa Majesté la Reine.
Louis rit, s'esclaffa, faillit s'étouffer.
- Ce n'est pas là que vous fîtes vos meilleures campagnes. Je vous sais courageux ; vous n'avez qu'à peine p‚li devant la salle des tortures de notre bonne Bastille.
Sourire cruel de gamin.
- Je n'ai sans doute rien dit, mais j'ai beaucoup p‚li.
- Je vous aime bien, La Porte, mais je n'aurai jamais de favori et un jour je n'aurai plus de ministre... Et pourquoi pas, aussi, de Parlement.
- Merci, Votre Majesté, de vos bons sentiments qui honorent
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