Le lever du soleil
amusé.
Soyons drôle quand les sanglots nous étouffent à ne pouvoir exploser. Voilà bien des f‚cheux qu'il convient de tenir embastillés au plus profond de ce corps ruiné. Jamais un sanglot, Scarron. Toujours le rire, même si désormais les nerfs du visage sont br˚lés par le poison du charlatan ignorant, ce souris ne sera que grimace. Laideur.
Gondi est laid. Noiraud, petit, tordu, et Paul Scarron vient de le rattraper dans la laideur, et conserve avec lui le cousinage de leurs sensualités effrénées. Comment Gondi séduit-il, lui qui accumule les bonnes fortunes ? Par son esprit. Scarron, mon ami, tu dois l'imiter. C'est le seul bien qui te reste.
Certes, d'amis, nous deviendrons frères. " Frères de laid. "
Scarron sourit en souffrant. Oui, l'esprit fonctionne encore.
Profitons-en.
On vient le visiter, comme un animal de foire, comme un monstre il trouve la force de plaisanter avec un abbé, un mar-
chand, un baron. qui s'empressent de colporter le nouvel aspect du chanoine. Il ordonne qu'on lui construise une caisse, plus pratique qu'un fauteuil, lui fait adjoindre des coussins et des roulettes.
Le Mans ne parle que de cette " boîte ". Puis se désintéresse.
Tant mieux. Il peut enfin composer sa lettre à l'autre Paul, le riche, le chanoine de Paris.
" Mon ami, les uns disent que je suis cul-de-jatte, les autres que je n'ai point de cuisses et que l'on m'enfile sous une table comme en un étui o˘ je cause telle la pie borgne. Et les autres, que mon chapeau tient à une corde qui passe dans une poulie et que je le hausse et le baisse pour saluer ceux qui me visitent.
" Sans prétendre faire un présent au public, je me serais bien fait peindre, si quelque peintre avait osé l'entreprendre. A défaut de la peinture, je vais te dire à peu près comme je suis fait. J'ai la taille bien prise, quoique petite, mais ma maladie l'a raccourcie d'un bon pied. Ma tête est un peu grosse pour ma taille ; j'ai le visage assez plein pour avoir le corps très décharné ; j'ai la vue assez bonne, quoique les yeux gros ; je les ai bleus, j'en ai un plus enfoncé que l'autre du côté que je penche la tête ; j'ai le nez d'assez bonne prise. Mes dents, hier encore perles carrées, sont de couleur de bois, et seront bientôt de couleur d'ardoise ; j'en ai perdu une et demie du côté gauche, deux et demie du côté droit, et deux un peu égrignées. Mes jambes et mes cuisses ont fait premièrement un angle obtus, et puis un angle égal, et enfin un angle aigu. Mes cuisses et mon corps en font un autre et, ma tête se penchant sur mon estomac, je ne ressemble pas mal à un Z.
" J'ai les bras raccourcis aussi bien que les jambes, et les doigts aussi bien que les bras ; enfin, je suis un raccourci de la misère humaine. "
Paul Scarron se souvient qu'il a deux amis. L'autre est une femme. Elle est jeune et belle, et exilée. S'il ne s'est pas adressé
à elle en premier, Paul le comprend en l'instant, c'est à cause du chapon. Marie de Hautefort est à deux pas, disons deux lieues, et ce n'est pas à elle qu'il a écrit mais au lointain Gondi de Paris.
Paul souffre dans ses membres et pour la première fois ressent une même paralysie de l'esprit. Du moins l'esprit ren‚cle-t-il autant que les muscles. Cette première missive l'a épuisé.
Mais il lui faut le secours de Marie. Et Paul revoit la lettre, en change deux ou trois formules, la féminise, elle aime ses vers burlesques, elle en a ri et en a déclamé elle-même chez la comtesse de Tude.
Paul Scarron recopie la lettre destinée à Gondi pour l'adapter à
l'esprit du " plus joli cul de France " et la fait porter à l'hôtel de la Flotte, ou, si elle n'y réside pas, au ch‚teau de Bellefille le bien nommé, chez la grand-mère de son amie, Marie de Hautefort.
A Paris, Paul de Gondi, vingt-cinq ans, rentrait d'Italie, o˘ il avait failli se faire assassiner pour avoir courtisé une noble véni-tienne, la contessa Vendramina. Il ne dut qu'à l'ambassadeur de France près la Sérénissime, le président de Maillé, de pouvoir filer vers la Lombardie. Il alla ensuite montrer sa soutane à Rome, se querella avec l'ambassadeur de l'Empereur, le prince de Schemberg, ce qui n'échappa pas à un dénommé Mazarini, employé à quelques úuvres de la papauté. Là encore, l'ambassade de France en la personne du secrétaire de Roze lui conseilla de décamper.
Il était donc, en ces lendemains de Chandeleur, place Saint-Sulpice o˘ se tenait la foire
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