Le lever du soleil

française, ni les médisances. Ni les propos lestes.
    Paul sourit et devant elle demande un papier, une plume et de l'encre, et lui dit :
    - Tenez-vous bien, Madame, je vais vous louer. En quoi puis-je vous peindre ? En votre avenir. En duchesse.
    - Je le serai. Après la mort du tyran écarlate.

    - Or quel est l'attribut d'une duchesse chez la Reine ?
    - Un tabouret.
    - Pour y installer quoi ?
    - Cher chanoine, comme si vous ne le saviez pas.
    - Le vôtre, Madame, mérite une symphonie. J'improvise ?
    - Improvisez. Mais je n'écouterai pas.
    - Un verre de bourgueil pour m'éclaircir les idées.
    On sert le chanoine. Il boit. Renifle, il a pris froid. Et se lance : On ne vous verra plus en posture de pie
    Dans le cercle accroupie
    Au grand plaisir de tous et de votre jarret
    Votre cul qui doit être un des plus beaux culs de France Comme un cul d'importance
    A reçu chez la reine enfin le tabouret...
    - Dois-je continuer ?
    - Arrêtons au tabouret. On ne sait trop o˘ le go˚t de la rime pourrait vous mener.
    - A Chartres.
    - Et pourquoi à Chartres ?
    - Parce que, Madame, vous avez un pied à Paris et l'autre au Mans, et que Chartres est au mitan !
    Marie n'est pas bégueule, elle rit beaucoup, et sans rougir, mais refuse un éloge de son " mitan ".
    Le remerciement pour la Symphonie en cul majeur, et en mirli-ton, a tenu en ce chapon destiné à fêter dignement la purification de la Vierge.
    Paul le regarde et l'admire.
    Le chapon est dodu, Scarron n'est pas maigre. Le chapon est ch‚tré, de belles Mancelles savent que Paul n'est en rien coupé.
    De cette notable différence naît justement l'idée d'un déguisement parfait.
    Paul Scarron pour ce soir de fête se déguisera en chapon. Ce qui évitera l'achat et le fourniment d'un déguisement chez un fri-pier. Depuis la mort de Mgr Lavardin, son secrétaire est assez serré et a déjà dépensé le pécule que Monseigneur lui a laissé.
    quant au bénéfice de l'abbaye, autant dire qu'il est mangé en naissant et que la prébende de chanoine au chapitre de Saint-Julien est une misère.
    Il lui faut des plumes. Et de quoi les faire tenir sur ses cuissots et autres abattis dodus.
    Scarron réfléchit.
    Dans son garde-manger, trois pots de miel.
    Dans sa chambre, un matelas, un édredon.
    Dans un tiroir un couteau.
    Paul éventre matelas et édredon et en répand la plume sur le sol. Il se met nu, s'enduit de miel. Et se roule dans tant de plumes épandues. Il tousse beaucoup. Mais qui remarquera sa toux, quand toute la France grelotte ; on dit le Roi lui-même enchifrené en ce février glacé. On sait que Sa Majesté n'a pas de santé, à la différence de Scarron qui, ce soir, se sent immortel.

    Il a encore eu l'idée d'une nouvelle, L'Espagnole, qui plairait à la Reine. Il la faudra dédier à Marie de Hautefort. Après le chapon peut-être méritera-t-il un búuf. Au moins un veau gras.
    On peut gagner sa vie avec des dédicaces. M. Voiture en vit, ce chien burlesque de Cyrano aussi.
    Oui, décidément, après la fête, après le carnaval et ses amusements, Paul vendra son canonicat et rentrera à Paris. Il n'est que temps d'y luire de tout son talent. C'en est assez des succès faciles du Mans. Il peut être épique, il peut être comique, il peut écrire à
    l'italienne, à l'espagnole, il manie fort bien le style français.
    Paul Scarron est s˚r de lui : à Paris il connaîtra le vrai succès.
    On le jouera à l'hôtel de Bourgogne, on le recevra dans les salons, même celui si beau, si bleu de toute sa soie tendue, de la dolente marquise de Rambouillet.
    Déjà, ici, il a fait sourire Mme de Sablé qui a des terres à trois lieues à l'ouest du Mans et qui à Paris est à la fois amie et rivale de la marquise. Elle reçoit Voiture et Ménage, on lui sait des faiblesses pour La Rochefoucauld, est amie avec le grand Arnaud, ne jure que par Guez de Balzac, étudie, raille ou défend, préfère Chapelain le Parisien docte académicien, puis s'entiche de Corneille le Normand, car Mme de Sablé est folle de galanterie espagnole à la manière de Perez de Hita.
    L'Espagne est une mine d'or pour les écrivains français, qui la pillent. D'o˘ ce fameux Cid. Et la nouvelle espagnole de Scarron.
    Mme de Sablé a d'autres qualités ; elle est gourmande, on s'en moque ; elle est cultivée et plus que lettrée, on l'en admire ; elle codifie les règles de la " belle galanterie ", les Précieuses en naissent ; elle est infidèle avec vigueur, on en chuchote et