Le lever du soleil
sourit.
Enfin, elle connaît Scarron. Et semble l'apprécier.
Ce Paul Scarron qui s'emplume et grelotte sous sa carapace gluante en ce crépuscule du 2 février.
Paul Scarron est en train de sceller un pacte en effet avec le succès. Pour ses écrits, certes, pour son beau style aimable, plaisant, féroce, et pour autre chose qu'il ne saurait imaginer car, alors, peut-être tremblerait-il plus que de froid dans le logis qu'on lui laisse encore à l'évêché alors que nu et emmiellé il se couvre du duvet de son lit qui vit passer d'autres peaux plus douces que la sienne, non pour reposer mais pour également... plaisanter. Paul Scarron secoue la tête, ce soir il sera bon de s'amuser et d'étonner, une fois de plus, la noble et riche compagnie.
Et quel hommage, une fois de plus, à la charmante Marie de Hautefort que de se travestir en son cadeau ! Elle en rira quand on lui contera. A moins qu'il ne la rencontre au hasard d'une fête.
Vite une plume (d'oie et un mot pour elle. Un Rondeau du chapon. Ecrit à la va-vite, les doigts collants de miel, par un chapon géant tel qu'on n'en a jamais élevé entre Loué et Mamers.
En la voyant, chacun avec effort
Criait : " Vivat, l'illustre Hautefort ! " ; Car ils savaient que cette illustre dame,
De qui le corps n'est pas si beau que l'‚me, Bien que le corps de cette ‚me animé,
De tous les corps soit le mieux formé,
Car ils savaient, dis-je, que libérale,
Par sa bonté qui n'eut jamais d'égale,
Elle m'avait envoyé ce chapon
Frais et friand, gros et gras, bel et bon.
Il relit, fait la moue, il s'est connu moins laborieux, mais pour un impromptu de la Chandeleur cela fera l'affaire.
Transformé en une volaille extravagante, il visite les hôtels du Mans, se mêle aux autres invités, battant des bras et piaillant au milieu de faux Richelieu, car le Cardinal abonde dans les déguisements, manière de ridiculiser sans grand risque puisque, la Reine enceinte, l'étoile rouge va se ternir, manière aussi de se moquer de Paris, jeu favori et général en province.
D'abord effrayés par cette apparition emplumée de chimère inquiétante qu'est Scarron, les autres masques le reconnaissent et les dames rient de bon cúur avant, émoustillées, d'entreprendre de le plumer.
Paul rit aussi puis comprend que ses folles admiratrices, à force de lui arracher son duvet, vont le laisser nu comme Adam au milieu du salon.
Le scandale, Scarron ne l'accepte que secret, non en public, encore moins en province. Il saute par une fenêtre, manque se casser une jambe, mais il est jeune et souple quoique replet. Les bacchantes hurlantes font mine de le poursuivre aidées par des chenapans qui sont leurs galants.
La chasse au chapon enflamme toute la société du Mans. Certains ont même sorti les chiens. Serré de près parmi les rues, Paul louvoie, choisit les plus sombres et gagne essoufflé les berges de l'Huisne o˘ il se tapit dans les roseaux. La meute passe, crie, rit, boit, se lasse.
On est en février, l'eau est glacée. Scarron perd ses plumes durant ce bain forcé ; il grelotte, se raidit, sa peau devient cuirasse, il attend que la nuit noircisse encore pour rentrer chez lui. Evitant dans la rue les masques en goguette, les torches que l'on porte devant les gens de qualité, les fenêtres trop éclairées.
Il s'écroule enfin dans sa chambre. Il br˚le de fièvre, ses articulations se révoltent. Il se frotte d'une couverture vite souillée de miel et de duvet, il tente d'activer sa cheminée, souffle sur les braises, ajoute deux b˚ches, mais chaque mouvement est douleur fracassante, il souffre trop, ses gestes sont maladroits, les vertiges l'assaillent, il croit mourir, s'évanouit et dans son évanouissement s'endort comme un plomb.
Au matin, il bouge à peine.
Dans la semaine, il ne bougera plus.
Le devoir d'un chanoine est d'assister au chapitre. Or en ce lendemain de Chandeleur il y a chapitre en la cathédrale Saint-Julien. Appuyé sur deux b‚tons, Scarron tente de s'y rendre. Un vrai chemin de croix. Il s'avance dans le marché sur la place toute proche, il détourne les yeux des étals de volailles, aujourd'hui Scarron vomit tous les chapons !
Un homme en noir, jeune et souriant, l'aborde. Scarron s'excuse de ne le pas saluer. Le jeune homme le connaît, et se dit médecin.
Attaché, c'est-à-dire domestique, à Mme de Sablé. Scarron sourit malgré ses douleurs, il sait Mme de Sablé à la mode du temps.
Elle s'attache des médicastres et
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