Le lever du soleil
de Saint-Germain.
Ce voyage italien qu'il contait à satiété avait été un voyage forcé. Paul de Gondi avait été reçu premier à la licence de théologie en Sorbonne, par une majorité de quatre-vingt-quatre voix des docteurs. Cela pourrait se fêter, Gondi pour une fois a préféré la modestie : il a battu et devancé dans une dispute fort savante son meilleur rival, l'abbé de La Mothe-Houdancourt, beau jeune homme, élégant, qui ajoute à ces mérites celui, plus dangereux pour son vainqueur, d'être un parent de Richelieu.
Richelieu avait envoyé en Sorbonne le grand prieur La Porte pour recommander La Mothe. Gondi, le sachant, fit dire à Son Eminence que par respect il se désistait de sa prétention à être premier à la licence puisque le ministre s'attachait au triomphe de son parent. Le Cardinal répliqua que M. La Mothe ne devrait pas sa première place au désistement d'un abbé.
Gondi sourit, fit la révérence. L'emporta. Le Cardinal menaça docteurs et recteurs de raser les travaux qu'il avait entrepris pour embellir la Sorbonne. Et la famille de Paul de Gondi s'épouvanta, envoyant l'intraitable théologien en Italie, dont il était ainsi rentré
sans blessure.
Il piaffe aujourd'hui entre les tentes et les étals, entre les belles dames masquées et les nobles travestis qui s'encanaillent ici. Sa vision de taupe ne lui permet de reconnaître personne, parfois il bouscule quelqu'un. Mme de Guéménée le guide, le retient, le pousse, le gronde, le tance.
Il rit ou s'époumone à gloser devant un verre de sirop d'orgeat.
Un valet lui porte une lettre, Gondi lit, s'épouvante, décide, agit.
Le futur cardinal de Retz, le futur frondeur, déjà fort trublion, sait être un ami.
Il fallait une voiture. Il fallait un logement, il fallait de l'argent.
Gondi les trouve l'espace de ce carnaval o˘ tout Paris côtoie tout Paris. Et par coursier de Mme de Guéménée en avertit son ami du Mans.
L'ami du Mans est aux mains douces de Marie et de sa súur Charlotte d'Escars. Elles fournissent pruneaux veloutés, p‚tés énormes comme des forteresses, et de l'argent. Marie lui choisit des aides, des relations, le comte de Béthune, le comte de Saint-Aignan, Mme de Lesdiguières, Mme de Contade. Scarron n'est pas seul, Scarron ne veut plus mourir. Scarron a la plus jolie des marraines et le plus actif des parrains.
Au Mans il a appris la grossesse de la Reine, on lui apprendra à Paris, en l'hôtel de Troyes, dans sa chambre tendue de damas jaune, couleur opposée au bleu de la marquise de Rambouillet, il l'a voulu ainsi, la naissance d'un Dauphin.
Encore une dédicace à monnayer.
Ce qu'il ignore et le rendrait peut-être fier, mais rien n'est moins s˚r, est qu'il va bientôt épouser, chose impossible à un estropié, invraisemblable mais vraie, une ravissante demoiselle ruinée, Françoise d'Aubigné, et que celle-ci sera le dernier amour et la dernière épouse (morganatique, certes) du bambin que la reine Anne porte encore en son ventre, une fois qu'elle sera devenue marquise de Maintenon.
Dieu est taquin comme un chanoine, monsieur Scarron. Il a parfois, Lui aussi, le go˚t du burlesque en créant l'Histoire.
Premier lever de soleil
Découvrons-nous, lecteur, et rendons gr‚ces à Dieu, notre Héros va, enfin, apparaître.
Dimanche 5 septembre 1638.
Inter feces et urinas, Delphinus nascit.
A inscrire par de doctes personnes au registre des Archives du Royaume de France.
A midi moins le quart, il hurle. Trois médecins commentent, un bourdonnement incompréhensible l'environne, des exclamations, des voix autres, plus dures que celles déjà connues avant, au son feutré par les palpitations, les respirations du lieu o˘ il était. Certains bruits lui semblent pleins de joie, qui sont rires ou sanglots, d'autres de douleur. Sa douleur, vive comme la foudre, s'est éteinte. L'entrée de l'air en sa bouche, son nez, sa poitrine, fut un trait de feu, il a crié, hurlé, puis tout s'est calmé.
Donc, voici le monde : flou, brillant, aveuglant, br˚lant les poumons. Et si doux tout à coup.
Douceur des mains, d'un linge tiède, d'une peau, très bien la peau, et ce nom qu'on hèle, qu'on répète, qui ronronne, dame Péronne.
Cela pue.
Il bouge un doigt, deux, un bras, des jambes. Il entend le mot Dauphin.
Il entend Reine, il entend Roi. Mais son esprit est ailleurs encore, cherche à s'installer, prendre place ; c'est son corps tout neuf qui pense.
Il a la tête en bas, puis
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