Le lever du soleil
est remis en une plus agréable verticale, il y a donc un haut et un bas. On le presse avec délicatesse contre un linge bombé par deux hémisphères tendres. Encore un nom qui ronronne : dame Péronne.
Et puis des noms en " ard ", plus durs, Bouvard, Héroard. Eux ordonnent. Dame Péronne approche un linge à la forte odeur, le linge glisse sur son corps, il est imbibé d'huile de rosé. Son corps en est bien aise quand on le débarrasse, par ce mélange odorant, agréable, des derniers filaments venus du ventre de Maman.
Sur ses lèvres, un doigt frotte une p‚te molle, miel thériaque détrempé de vin de grenache. Amertume et suavité, le médecin, Bouvard, dit qu'il y a aussi de la poudre d'os de cerf.
Il est séché dans de grands draps doux devant la cheminée, l'enfant voit l'éclat mouvant des flammes. Le feu est beau et chaud.
Dame Péronne, la sage-femme, présente l'enfant au Roi, et lui fait constater physiquement qu'il s'agit d'un garçon.
Le Roi tombe à genoux. Une jolie voix, une jeune femme, chuchote au Roi le conseil d'embrasser la Reine.
Et tout à coup il est emprisonné. Oh, bien doucement, les bras le long du corps, les jambes serrées, il est emmailloté. Ne peut plus bouger. Il proteste, on lui murmure des mots doux et pleins de respect. Toujours dame Péronne.
Epuisé, il s'endort.
Il n'a que trois minutes d'‚ge. Il s'est battu huit heures durant pour son chemin vers le monde des vivants.
Huit heures de souffrances pour la reine de France ; la prime douleur à quatre heures du matin. Bouvard, premier médecin de la Reine, prit le pas sur Héroard, premier médecin du Roi ; immédiat conflit de préséance, les trois autres bonnets noirs n'étaient là
qu'au registre de l'assistance. Seule dame Péronne était efficace.
Elle connaît tout du mal d'enfant qui est fortes douleurs mais pas grand mal.
La Cour doit assister pour authentifier l'événement. Duchesses, comtesses, princes du sang, M. le Chancelier Séguier, qui est une forme obligée de la Loi. Et Dieu par ses représentants, aumôniers, chapelains, moines bénédictins, l'évêque de Limoges. On sort de la chapelle la sainte relique, un os de cadavre, la m‚choire de sainte Marguerite, reine d'Ecosse, fille d'Edouard le Confesseur, présent de la reine Marie Stuart qui fut un temps reine de France ; on adore un fragment de morte pour espérer cette vie toute neuve.
Accalmie.
Les douleurs reprennent à onze heures. Violemment.
Le Roi vient de se mettre à table, il interrompt son dîner de midi. Marche vers l'antichambre. Marie de Hautefort, son inclination passée, revenue de son bref exil à la demande de la Reine, est dans l'antichambre. Elle pleure. Le Roi la regarde. Il a eu la faiblesse d'accepter son retour, qu'elle ignore être éphémère.
Le Roi la voit et remarque ses larmes. Il déteste ces larmes-là.
- Ne pensez qu'à l'enfant. Vous vous consolerez de la mère.
Elle rougit. Ce père tout neuf et imprévu envisage cr˚ment la mort de la mère !
- On m'a tant lu d'histoires de rois veufs qui épousèrent une sujette en secondes noces.
Elle le regarde. Comment a-t-elle pu aimer ce monarque ? L'at-elle aimé ? Mais là, ne vient-il pas de lui proposer sournoisement, à sa manière de malade, de l'épouser? Marie, reine de France ? C'est honteux en ce moment, mais c'est tentant.
Le Roi entre dans la chambre de la Reine, Mme de Sénecey lui annonce la vraie nouvelle : " Sire, c'est un garçon. " Dame Péronne, la sage-femme, le lui prouve en lui mettant sous les yeux le " guilleri " en bas du ventre de cet espoir de chair encore violet, marbré de rosé et tout ridé de plis, qu'on va laver et enfermer dans un cocon, chenille braillarde qui sera ou ne sera pas papillon.
Une main saisit celle de Louis. Une main ferme, la main de Marie dont les yeux s'assombrissent.
- Sire, allez vers la Reine.
Il hésite et obéit. Il sourit et baise la main de sa femme.
- Merci, Madame.
Il se penche encore, baise ses lèvres.
- Vous avez beaucoup souffert, m'a-t-on dit. (Le roi de France ne connaît sa femme que par on-dit.) Mais vous m'avez donné un fils.
- C'est Dieu, Sire, qui vous l'a donné.
Elle est p‚le et sa peau si claire et lisse s'efface sous la sueur.
Dame Péronne donne l'enfant à son aide, Fillandre, qui le montre à sa mère.
Le Roi tombe à genoux. Imité par le chancelier Séguier, le duc d'Uzès, le comte de Tresme, le duc de Monbazon, gouverneur de Paris, l'archevêque de Bordeaux,
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