Le lever du soleil
s'imagine, comme beaucoup de dames de qualité qui ont trop d'attache à une vie si généreuse à
leur égard, s'assurer ainsi contre les attaques sournoises de la mort. Scarron pense qu'elles n'en mourront pas moins. Simplement l'issue fatale ne viendra-t-elle pas du mal mais des traitements infligés par leurs charlatans. Mais Mme de Sablé est intelligente et encore vivante.
- Vous semblez souffrir, monsieur le chanoine.
- Aucune partie de moi-même n'est autre qu'une douleur. Et une fièvre continue me ronge jusqu'à la moelle.
- Il vous faut garder le lit.
- Il y a chapitre aujourd'hui.
- Je connais des médecines merveilleuses dont Mme de Sablé
dit grand bien. Ne voyez-vous pas sa santé, la fraîcheur de son teint ? Or elle a quarante années. Evidemment, Madame ne peut souffrir d'une " maladie de garçon " dont je vous soupçonne atteint.
- Mais non, monsieur, je pisse froid, il ne s'agit pas de cela, mais d'un rafraîchissement total d˚ au temps.
- Allons, monsieur Scarron, on connaît votre réputation.
- Elle n'est que légende.
- Admettons. Mais comment vous soignez-vous ?
- De bouillons, de bouillottes.
- Go˚tez à ma médecine, après votre chapitre. Je vous atten-drai devant la cathédrale.
Scarron, qui n'en pouvait mais, souffrit comme un diable durant la sainte assemblée, bourdonna les répons de l'office, ne retint rien de ce qui fut dit. Accepta que le médecin l'accompagne à son logis, l'aide à en gravir les degrés. Et avala avec une grimace le contenu d'une fiole orange, puis celui d'une fiole bleue.
Le résultat premier fut qu'il s'assoupit.
Une terrible contraction le réveilla. Il appela. Un valet monta et s'horrifia. Scarron sur son lit était recroquevillé, raide, contrefait.
Et le valet alla avertir la ville que la vérole avait estropié Scarron.
Paul Scarron, poète dédicataire, chanoine d'occasion, abbé à
bénéfice, était paralysé. La veille il voulait conquérir Paris. Ce soir il était cloué au lit.
Ce fut le désespoir. Sa vie était finie. Pour un déguisement mal choisi, pour une plaisanterie de trop. Il lui fallait d'abord quitter le Mans. Impossible à cet esprit fin et inventif de mourir en province, il méritait des obsèques à Paris. Les homélies y étaient mieux écrites. On l'y enterrerait dignement.
Son ami d'enfance, Paul de Gondi, destiné de naissance ou plutôt par la mort d'un frère aîné à porter un jour un chapeau de cardinal, à tenir comme son oncle Retz l'évêché de Paris, l'aidera à trouver quelque église convenable o˘ en chaire il aura droit à
un véritable éloge funèbre et non, comme ici, à quelques saintes paroles, fielleuses et revanchardes, d'un curé effronté, jaloux et encouragé dans la médisance par la mort du protecteur Mgr Lavardin.
Paul Scarron doit écrire à son ami. Il peut encore écrire, il peut toujours penser, il peut rimer, il peut bander.
Mais à quoi tout cela sert-il ? A quoi surtout cela servira-t-il puisque le voilà cloué comme un magot au cul de plomb que les enfants font basculer en chantant des comptines ?
Paul Scarron s'interdit de pleurer alors qu'il a envie de se pendre, ce qui est un péché d'ailleurs.
Je suis de ces corps physiques non décrits par les savants, sauf peut-être par M. Gassendi, et qui ne tiennent pas leur conservation.
C'est un péché en effet dont Dieu seul me rendra raison.
Il songe vraiment au suicide, un acte noble qu'on tolère sur les scènes de thé‚tre quand on y interdit le meurtre. Il a vingt-huit ans.
Non, écrire d'abord. Ecrire à Paris. A celui qui pourra le comprendre, le garnement de Montmirail qui porte le collet et se bat en duel, l'ingambe abbé qui a servi lui aussi dans le corps de Marion Delorme, ce qui les fait camarades de régiment.
Paul de Gondi, mon ami, mets ta noblesse ancienne et italienne, et tout l'esprit de Machiavel, ton cousin de Toscane o˘ ta famille est née, mets tout cela au service de ton pauvre ami roturier, ton pauvre et autre Paul. Le Scarron. Je fus chanoine au Mans tu le fus de Notre-Dame de Paris, à quatorze ans. Soyons des frères, au-delà des blasons. Ce que ne voulut point le sang, ce que dési-raient enfants nos esprits.
Gondi est un enfant comme moi. Il faut donc le faire rire.
Scarron demande qu'on installe un fauteuil, sur ce fauteuil une planche retenue par les bras, qu'on taille deux plumes et lui porte un encrier. On lui obéit, comme au temps de l'évêque. Avec lui, on s'est tant
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