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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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vivant dans les palais royaux. Il était épuisé mais acharné à
    poursuivre l'úuvre entreprise, avec désormais l'obligation d'impatience, lui qui avait su si bien attendre.
    Le Roi était malade aussi et cela se voyait. Monsieur Gaston surveillait l'évolution du mal sur le teint jaune de son frère, sur sa maigreur augmentée, et retrouvait le vieux projet d'un complot de naguère qui s'était terminé par vingt coups de hache d'un bourreau toulousain d'occasion sur le cou du comte de Chalais, épouvantable carnage qui avait déclenché les ricanements du Roi : ce Roi mort, il épouserait sa belle-súur, élèverait ou étoufferait le Dauphin, du moins le contrôlerait. L'enfant faisait bonne figure et adressait ses premiers et rares sourires à cet oncle fringant, élégant, vif et joli comme un page, avec des gentillesses héritées de son père le Vert-Galant, un oncle sans cervelle mais couvert de rubans avec lesquels jouer et qui sentait si bon la friandise. Gaston augmenta sur ses habits et sa perruque son parfum préféré : la frangipane.
    Plaire à son royal neveu ne déplaisait pas à ce tragique étourneau qui personnifiait une cause dont il ignorait que ce bambin Dauphin incarnait la fin. Une France au bord de la disparition, une France encore sauvage et passionnée, la vieille France féodale, dont Louis XILI et le cardinal-duc sapaient depuis des années les derniers bastions, une France patriarcale, insoumise, qui, encore vivante pourtant chez les amis et les princes cousins de Gaston, appelait chez lui, frère et oncle de Roi, une vraie nostalgie. Le vif page plus monté en graine que vieilli, l'enfant g‚té d'une mère injuste et sotte n'étant devenu qu'un ornement de cour qui se pati-nait mais ne vieillissait pas comme son royal frère, rêvait d'un dernier et très beau " grand désordre " avant que de penser à
    s'assagir et de décider de se repentir.
    Mgr le Dauphin aimait bien cet oncle pimpant, souriant mais qui le troublait ; sa mère était rassurante, tendre, accueillante et moelleuse. Son père, sec, jaune, triste mais aimant par bouffées de tendresse qui pouvaient passer pour violentes.
    Son père était un silence qui le contemplait avec amour et un brin d'étonnement. Une grande ombre sèche au visage plissé mais ému derrière la sévérité. Louis Dieudonné adressait alors un sourire, tendait un petit bras potelé, une main minuscule mais ouverte à cette mince apparition silencieuse vêtue de brun ou de gris ventre de louve, aux yeux br˚lants et beaux, car Louis XILI des Médicis de sa mère avait hérité plus que le go˚t des arts, qu'il négligeait, ne s'entichant que de musique et des tableaux aux éclairages bibliques de La Tour, la profondeur de lumière noire du regard. Et l'enfant voyait chez " le Roi mon Papa " les traits se détendre et s'amollir en ce qu'il savait déjà être la tendresse.
    Puis le grand corps assis près de lui et seulement occupé à le contempler se dépliait lentement, dissimulant quelque douleur, et s'en allait sans un mot ou bien après un murmure que le Dauphin ne comprenait pas, une sorte de fredonnement, non de chanson, comme dame Perrette Dufour, la généreuse, mais peut-être un vúu, une exhortation adressée à Dieu.
    Le Roi souhaitait voir grandir son futur roi de fils aimé. Louis le Treizième aimait comme n'avait jamais aimé de sa vie Louis le Triste. Il en ressentait un bonheur uniquement attaché à cet enfan-
    çon qui déjà dévorait la vie comme le sein de sa nourrice, un bonheur dont il savait qu'il arrivait trop tard pour qu'il en profite jusqu'à ce que l'enfant soit en ‚ge d'être vraiment roi. Ah, s'il pouvait terminer cette guerre et lui laisser près de son berceau le cadeau de la paix...
    Pour la terminer, il devait lui-même la faire. Ou désobéir à
    Richelieu, ce qui était impossible.
    La grande et maigre apparition silencieuse quittait Petit Louis dans un marmonnement mi-religieux mi-affectueux que rythmait le bruit des bottes sur les parquets. Bruit que le Dauphin reconnaissait, espérait et craignait un peu aussi.
    Les autres ? Tous courbaient l'échine et balayaient ces mêmes parquets de leurs plumets ou des soies de leurs jupons, devant cet enfant qu'on leur montrait en raides habits de cérémonie, puis qu'on abandonnait en un coin du palais dans ses appartements au damas blanc déjà poussiéreux et jauni.
    Il y avait deux vies dans la vie. Il ne sentait toutefois qu'un seul petit être en lui.

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