Le lever du soleil
guérit ", alors qu'un gentilhomme distribue quelques pièces aux malades. Louis ne déteste pas cette cérémonie, qui donne au Roi le pouvoir de guérison miraculeuse et lui permettait de voir sur d'autres, parfois des enfants, les effets des ravages de la maladie, cette si fidèle et si triste compagne. Puis il quitte vite la ville qui n'est pas s˚re, trop turbulente. Déjà les rois s'exilent du Louvre et des Tuileries. On l'attend, à Fontainebleau, pour les lendemains de la Toussaint.
La Cour de Saint-Germain se h‚te, fait ses bagages, déménage, les charrois se mêlent aux carrosses, les intendants et leurs valets préparent les logis. Trois mille moutons brodés d'or sont en trans-humance. L'enfant s'amuse de ce tohu-bohu. Il aime ces changements. Mais regrettera les fontaines chantantes.
Les jardins à l'italienne de Fontainebleau sont moins réglés qu'à
Saint-Germain mais plus vastes, on pourrait s'y perdre ou s'y cacher. Et puis il y a les hauts murs des grandes salles et d'une longue galerie o˘ s'accrochent des nudités p‚les dans des paysages d'Acadie, des Diane, un Actéon à tête de cerf, une Sabina Poppea qui ne baisse pas les yeux sous son voile, des voiles légers dévoi-lant des seins parfaits, des cuisses longues, le tout encadré d'or et de stuc, des bambins nus joufflus, fessus, des putti, animaux et guirlandes, chimères et cerfs, chiens à l'arrêt immobilisés dans leur blancheur de pl‚tre. L'art des Italiens du roi François Ier.
L'enfant regarde. Sa part de sang Médicis en lui remarque tel visage de nymphe qui sourit tourné au-dessus d'une épaule nue, un jeune sein fleurit dans l'angle d'un bras. Les pieds se cambrent, les hanches ondoient, des femmes faites pour bondir dans les bois à la poursuite de biches. Dans le parc montent des odeurs de mousse et d'herbe mouillée qui lui reviennent à la simple vue de ces gr‚ces. Il ignore les noms du Rosso, du Primatice, de Jean Goujon, mais il comprend l'élégance d'un corps féminin libre dans la nature. C'est un monde qui lui paraît sans souffrance, car il les ignore encore. Son royaume, un nom ici souvent prononcé, tient donc en tant de beauté dans ce ch‚teau qu'il découvre et lui paraît un palais des rêves alors qu'il est d'abord un rafistolage d˚
à tous ceux qui l'y ont précédé. Il ignore le siècle de douleurs traversé par ce royaume et qui dure autrement. Il s'étonne et s'émerveille. Un éléphant à faire écarquiller les yeux porte les fleurs de lys, les mêmes qui sont brodées sur sa robe.
Fontainebleau lui paraît un ch‚teau fantastique, sorti d'un conte comme on en lit le soir avant que le sommeil vienne. Louis Dieudonné découvre un ch‚teau de rêve qui comme tout rêve est constitué de bric et de broc. Vraiment, ce méli-mélo de style fran-
çais et de go˚t italien, cela lui plaît.
On lui explique devant une cuve d'eau que là, son Papa, Louis le Victorieux, fut baptisé. Il imagine des fées et peut-être des dragons y venant boire l'eau bénite réservée aux rois et se relevant princesses ou souillons, bien punis ou exaucés d'avoir touché à
cette eau régale. M. de Fontrailles, si laid, une bosse derrière, une bosse devant, et dont on a tenté vainement de lui éviter la vue sur ordre du Cardinal, en aurait-il bu ? Petit-Louis ne déteste pas le marquis contrefait, il lui sourit dès qu'il le croise, parfois bat des mains, tant il lui paraît un jouet à faire rire. Il ignore la haine ensevelie dans les deux besaces qui déforment le marquis.
Dans les jardins s'alignent ou plutôt apparaissent ça et là douze statues qui représentent les mois de l'année. On lui montre le sien, septembre, une femme aux seins lourds de Perrette, vêtue de pampres et de lauriers.
Pour Louis Dieudonné, Fontainebleau est une autre facette de la vie, avec des mystères, et aussi le désordre de la liberté. Une vie non réglée par les rigueurs géométriques d'un protocole, une vie à recoins, à cachettes, à découvertes un peu inquiétantes mais au si doux frisson ; on s'y dissimule, on y joue. On pourrait y oublier tout.
Un défilé des bichons de Mariette a eu lieu dans la grande galerie du roi François Ier. Mme de Brassac en était la colonelle chapeautée de feutre, le baudrier d'un suisse en travers la poitrine barrée aussi de l'écharpe blanche du commandement ; Mme de Lansac n'avait accepté cette martiale exhibition que si elle était maréchale, et Petit Louis un fringant
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