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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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Car elle ne ressemblait plus en rien à la très belle infante dont l'apparition avec ce port noble acquis en Espagne faisait frémir ce que la Cour comptait de galants ou de rufians, c'est-à-dire tout le monde. La belle Anne, princesse désirable, était désormais une Cérès fran-
    çaise, épanouie, très blonde et très blanche, et elle se prit à aimer la chasse qu'elle suivit en carrosse. Elle félicita même son royal époux d'avoir tué deux loups dans la plaine de Monceau. Leur fourrure était belle, d'un gris attendri de blanc. Et le Roi en fit tirer, pour elle, une toque et une étole doublées de soie pour l'hiver annoncé. Il lui pardonnait, aujourd'hui, ce qui l'avait toujours rendu morose pendant tant d'années : sa féminité qui transpirait par tous ses pores et s'affirmait par la splendeur de son corsage.
    A trente-neuf ans, elle n'offrait plus la beauté troublante qui lui avait attiré bien des hommages, dont ceux du Cardinal, mais elle affichait le port d'une Reine. Et le Roi s'enchantait de cette mutation. Il admirait enfin sa splendeur charnelle. Le Roi y voyait une vraie mère, ce qui lui avait manqué en sa pauvre jeunesse. Une vraie mère qui aimait tout uniment ses enfants. De l'inconnu pour lui, et une merveilleuse invention.
    Le roi Louis XILI était heureux. Il vivait un crépuscule de printemps aux nuages roses sur des nuits de profond saphir. Des crépuscules comme dans les contes ou les histoires que sa propre mère n'avait pas pensé à lui lire, tout occupée à bichonner son jeune frère Gaston. qui en effet était aussi bouclé, pommadé et parfumé qu'un vieux bichon jappant aux chevilles d'une dame d'atour, d'une duchesse douairière, honorée d'un tabouret chez la Reine, conquis à l'ancienneté. Les bichons aboyaient, se goin-fraient de friandises, pissaient sur les parquets mais ne mordaient pas. Il regardait autrement son frère aux visites impromptues. Il suffirait de lui lancer quelque os de poulet. Un autre duché, une pension, un titre ronflant... Lieutenant général du royaume peut-
    être... nous verrons dans notre testament.
    Le Roi se débrida, perdit toute timidité, choya ses deux fils, encore maladroit par crainte de les mal traiter sans le vouloir. Son père le roi Henri avait failli le laisser tomber, lui encore nourrisson, en le tenant mal en ses bras plus habitués à saisir des galantes.
    L'affection l'envahissait, repoussant la méfiance au loin, et il sentit que cette invasion-là lui procurait un grand bien. Il organisa des jeux, des bals, des sorties champêtres, montra ses enfants et sa femme au pays. La Reine était reine et aux côtés du Roi. La lune de miel avortée il y a un quart de siècle revenait, pleine, brillante, s'emparant du ciel de France.
    Ils suivirent le Val de Loire, notre vallée des Rois. S'arrêtèrent à Amboise o˘ il avait menacé d'envoyer le Dauphin être élevé
    loin de sa mère, ils firent halte à Blois, refuge de son frère Gaston.
    La Reine s'y enticha d'une petite fille, une orpheline de père, celle de Mme de La Vallière nouvellement remariée au Premier Chambellan de Monsieur, M. de Saint-Rémy. On partit pour la Bourgogne, rendre honneur à ses cousins Condé qui en détenaient le gouvernement.
    Louis grattait la guitare, non plus pour bégayer des psaumes assommants, mais pour fredonner des airs à la mode, voire des berceuses, le soir, au coucher de ses enfants. Une vieille romance espagnole qu'il estropia fit sourire la Reine, flattée de cette sérénade boiteuse mais sans doute venue d'un cúur qu'elle croyait sec. Sa voix était douce, on la découvrit mélodieuse. C'était que chaque mot, pour une fois, venait en effet du cúur et que, quand le Roi fredonnait, il ne bégayait pas.
    On surprit le Dauphin, enchanté de tant de musiques, à vouloir danser, se trémoussant sur certaines mélodies venues de la guitare paternelle. Le Roi, dans ses combles du Louvre qui lui servaient d'atelier, lui confectionna une arquebuse en cuir et un cheval de bois.
    Le royaume, lui, crevait de misère. La vue de la famille royale au grand complet, de la Reine en splendeur, du Roi victorieux, des enfants porteurs d'espoir d'un nouveau règne et donc de la paix, enfin la paix, qui mettrait fin aux privations, et l'absence du Cardinal dans ces cortèges, cloué sur un lit à Rueil o˘ on lui perçait ses abcès, ne suffisaient plus. Cinq-Mars avait reçu l'ordre, écrit de la main de Louis et avec fermeté, de paraître en plus

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