Le lever du soleil
modeste appareil : économiser sur les dentelles et les velours ; être seigneur certes, mais pas étal de joaillier. Et on avait enlevé tout parement d'or au carrosse du favori qui en bouillait de rage et de haine derrière ses sourires pleins de dents.
Les parements avaient été fondus en lingots remis au chapitre de Notre-Dame pour les úuvres. Le jeune Paul de Gondi avait remplacé son oncle l'archevêque pour la distribution. Il y avait montré une sainte componction, avait-on rapporté au Roi qui nota ce nom.
Contre la misère, deux solutions : la répression à la normande, ou une victoire, ce baume pour un peuple glorieux. La Catalogne et le Roussillon envoyaient des émissaires : ils voulaient rejoindre le royaume de France et se délier de l'occupation espagnole, qui n'était pas tendre. Le Roi fut élu par acclamation comte de Catalogne. Il en fit peindre les armes sur les portières de son carrosse.
Excellente occasion de traverser le royaume pour montrer au peuple que le Roi continuait son métier. Eviter les pillages en ne prenant que des troupes s˚res : mousquetaires et gardes, régiments royaux, bien vêtus, bien nourris, éloigner les mercenaires envoyés aux frontières de l'Est et du Nord qu'ils pourraient dévaster.
Le Cardinal voulut en être et il en serait. Aucune victoire ne devait lui échapper, lui qui avait usé sa santé à toutes les préparer.
" Excellente occasion de l'y faire crever ", pensait Cinq-Mars.
Prudent, Monsieur le Grand convainquit le Roi de laisser Guitaut près du Dauphin, encore une fois, compte tenu de l'affection que semblait lui porter le fils aîné " qui a hérité de Sa Majesté, outre ses beaux yeux sombres, son go˚t pour les braves ".
Le Roi protesta que Guitaut avait été privé déjà de la gloire de Hesdin. qu'il méritait cette campagne qui s'annonçait une promenade militaire.
Cinq-Mars sourit comme il savait le faire : " Et laisser le Dauphin entre les princes du sang... et Monsieur... "
Cinq-Mars ne voulait pas de Guitaut dans les pattes, un homme qui avait tout vu, tout vécu, gloires et vilénies, batailles et complots. On ne s'embarrasse pas d'un honnête homme quand on veut abattre un tyran. On lui préfère des spadassins. Et, gr‚ce à la fréquentation de Marion et deux sourires de Marie de Gonzague, dans la manche de dentelle de Cinq-Mars se cachait M. de Tré-ville, capitaine général de la première compagnie des mousquetaires, ennemi juré du Cardinal. Un de ces hommes " s˚rs "
évoqués par le Roi.
Guitaut resta près de Petit Louis. Il n'y eut jamais autant de dents dans le sourire du jeune marquis.
LE CHAPEAU DE MONSEIGNEUR COUPE-CHOU
Un autre visage rôdait dans les couloirs du Louvre, de Saint-Germain et surtout de Rueil. Un bel homme. La taille bien prise, le teint vif, les yeux pleins de feu, le front large et majestueux, les cheveux ch‚tains et un peu crépus. Un homme qui prenait grand soin de ses mains qu'il savait belles. Un homme qui voyait et comprenait vite, un homme précieux pour un malade comme Richelieu dont il avait happé la confiance et pour qui il voyageait.
Un mois à Turin, une semaine à Munster, une intelligence en marche, un fringant cavalier apte à parcourir l'Europe, apte aussi à déjouer les pièges de tout traité, de tout accord, à renifler la trahison la mieux travestie de bienveillance. Un homme qui avait fréquenté la Curie, les corridors bruissant de soutanes des monsignore du Vatican, un homme qui fut nonce à Paris et jugé trop français, nommé vice-légat de Sa Sainteté en Avignon, qui lui parut terre d'exil, un homme enfin qui admirait le Cardinal-Duc, pour lui véritable plus grand chef d'Etat de cette Europe à feu et à sang. Et qui avait choisi son camp.
Né dans les Abbruzes, élevé à la cour des Colonna dont son père avait été intendant, il avait élu la France et le service de son maître Richelieu.
Giulio Mazarini était beau, rapace et intelligent, ambitieux, intrigant, fourbe, énergique. Les qualités de son maître moins sa brutalité. Il camouflait un orgueil immense derrière ses sourires sucrés et une voix chantante dont il outrait à peine, mais suffisamment, l'accent transalpin afin de l'adoucir encore, enveloppant son interlocuteur d'une musique méliflue dont chaque note pourtant était une lame de rasoir. Le contraire du Père Joseph du Tremblay, décédé et dont Richelieu lui avait, de fait, confié la place. Et l'espoir du chapeau de
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