Le lever du soleil
Pyrénées.
- Oui. Ce ne sera pas si aisé. Mais il faut le faire. Le Roi y partira. Je l'y suivrai. Nul ne sait qui en reviendra vivant. A part vous ! Il vous faut le chapeau avant notre départ ! Nous l'aurons.
Alors vous serez craint ! Ce qui vaut bien d'être aimé.
Le Cardinal rit.
- Mais, diable d'homme, vous êtes aussi capable d'être aimé !
- Votre Eminence n'ignore pas que je suis surtout méprisé.
- Par les princes ! Ils me haÔssent, complotent, échouent. Ils continueront avec vous. Mais ils ne sont plus rien !
- Mais le peuple ?
- Il vous ignore encore. Je crois qu'il apprendra à vous connaître. Certes son amour ne vous est pas acquis : il a quelque rancúur contre tout ce qui porte chapeau de cardinal ! De toute manière, le peuple n'y comprend rien. Le Parlement, si. Vous le mettrez à genoux en lui faisant les yeux doux. Chacun sa manière, mon cher Coupe-Chou. Moi c'était la menace. Et puis soyez riche ! Les hommes à bonnet respectent les caisses d'or. Ce sont des marchands, des banquiers, leur noblesse fut achetée sous les plis de leurs robes bordées d'hermine. Vous en ferez deux bouchées. Flattez-les et brisez-les !
- Vaste programme, Eminence.
- Bah ! notre métier. Vous commencez dans une heure. Il faut toujours réfléchir avant d'agir. C'était là ma première et unique leçon. Avec ce seul et dernier conseil : ne vous demandez jamais ce que, moi, j'aurais fait. Agissez selon vos propres idées. Et tenez-vous-y. Dans le triomphe et l'adversité, la réussite et la trahison. Vous serez trahi... Mais pas comme un mari cocu, comme on trahit un... roi. Un presque-roi.
Le Cardinal-Duc se tut. Mazarini attendit qu'il soit assoupi, cela arrivait désormais après un cruel et long effort. Il repensa à la lettre à présent scellée et qui était destinée au roi de France.
Mazette ! quelle carrière ! Il sourit. Le vieux ministre ronflotait, l'Italien le contemplait avec une sorte de tendresse. " Les Français sont sots, pensa-t-il, ils ne savent pas admirer, ils préfèrent geindre ou comploter. Moi, j'ai besoin d'admirer. "
Le 15 décembre 1641, Giulio Mazarini reçut, malgré quelques dernières réticences du pape Urbain VILI, le chapeau de cardinal des mains de Sa Majesté Louis le Treizième. La reine de France ne lui accorda qu'à peine un regard. Le temps de constater qu'une fois de plus Richelieu avait raison, Mazarini, devenu Son Eminence Jules Mazarin, ressemblait à Lord Buckingham.
DEUX NIDS D'AMOUR
Madame de Sénecey, en sa retraite feuillue de Milly, demandait pardon à Dieu d'être si fortement amoureuse d'un homme qui était un brave, amour de grand ‚ge, les deux frôlant le demi-siècle de vie. Et justement, Mme de Sénecey revivait. Un exil, un amour, qu'elle imaginait chaste à sa naissance, d˚ à la fréquentation incessante du chapeau à plumets, des bottes usées et cirées, du pourpoint barré d'un baudrier qui avait vu bien des batailles mais ne servait plus qu'à maintenir le fourreau d'une épée qu'elle savait ne pas être de parade.
Le Roi avait éloigné son Guitaut des combats pour lui confier la sécurité du Dauphin et désormais celle aussi du second fils de France. Elle en était ravie. Jamais elle ne s'était sentie si chaudement à l'aise, avant l'exil, que depuis que le capitaine aux gardes était continuellement de quartier au plus près de la Reine. Et, se disait-elle ce soir, l'attendant comme une jeune promise et mieux qu'elle attendit jamais Henri de Beauffémont, marquis de Sénecey, épousé à dix-neuf ans, sans doute était-elle la récompense en ardeur amoureuse de ce manque de combats qui avaient tant rempli la vie du comte de Guitaut. Ardeur de l'‚ge m˚r qui lui offrait le visage même d'un bonheur buriné par son propre choix venu de son cúur et venu aussi, et elle s'en repentait chaque matin dans son oratoire, de ses sens.
Marie-Catherine de La Rochefoucauld-Randan, marquise de Sénecey, aimait de tout son corps François de Peichepeyrou-Comminges, " comte " de Guitaut, capitaine aux gardes de Sa Majesté, et à la nuit tombée attendait que résonn‚t, venu de la route de Fontainebleau à travers la forêt, le galop d'un cheval d'armes. Si la Cour était au Louvre ou à Saint-Germain l'attente était plus longue. Mais toujours le " cher Guitaut " venait. La Reine, auprès de laquelle il était plus souvent désormais qu'auprès du Roi et, sur les ordres mêmes de celui-ci, pour veiller sur le Dauphin et son frère
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